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nom des nécessités de la religion, lui demanda de laisser son fils se vouer à la prédication. C’était un grand sacrifice de la part d’un pionnier que de renoncer au travail d’un fils de dix-huit ans, grand, robuste, intelligent, et qui maniait admirablement la charrue. Aussi le père résista ; mais alors intervint la mère, dont la conscience s’alarmait à l’idée de résister à un si visible appel de Dieu, et ses supplications obtinrent le consentement désiré. Cartwright lui-même hésita beaucoup : s’il ne demandait pas mieux que de prêcher dans son voisinage, renoncer à la vie de famille pour le rude métier de missionnaire l’effrayait un peu. Sa mère le décida.

Voilà comment, sans y avoir jamais pensé et sans s’y être aucunement préparé, un enfant des bois, destiné, suivant toute apparence, à manier toute sa vie la pioche et la cognée, fut, à dix-huit ans, enrôlé presque malgré lui sous la bannière du méthodisme militant. S’il a bien rempli sa tâche, c’est ce dont on jugera par le résumé qu’il fait lui-même de ses travaux.


« J’ai parcouru onze circuits et douze districts, j’ai reçu dans l’église épiscopale méthodiste, après examen et par lettre d’affiliation, 10,000 personnes ; j’ai baptisé 8,000 enfans et 4,000 adultes. J’ai prêché à 500 funérailles. Pendant cinquante-trois ans, que j’eusse à conduire un circuit ou un district, j’ai écrit mon itinéraire, mentionnant le lieu et la date de chaque sermon, le texte de l’Écriture que j’avais choisi, et le nombre des conversions, des baptêmes et des réceptions dans l’église. D’après ces vieilles notes et malgré quelques omissions, je crois pouvoir déterminer assez exactement combien de fois j’ai essayé de prêcher. Pendant les vingt premières années de mon ministère, j’ai souvent prêché deux fois et même trois fois par jour. En ce temps-là, nous avions rarement plus d’un jour de repos par semaine ; aussi je crois pouvoir calculer que je prêchais 400 fois par an. Cela ferait pour vingt ans 8,000 sermons. Dans les trente-trois dernières années, je crois pouvoir avancer que j’ai prêché en moyenne 4 sermons par semaine ou 200 par année, ce qui ferait pour les trente-trois années 6,600, et en tout 14,600 sermons. »


Les succès de Cartwright firent honneur à la pénétration de John Page, qui avait deviné en lui un prédicateur populaire. Son extrême jeunesse donnait à sa parole un attrait de plus. Il ne fut bientôt question que de lui dans l’ouest, et on accourait de fort loin pour entendre le petit Kentuckien (the Kentucky boy). Lui-même ne ménageait ni ses pas ni sa peine. Un des premiers circuits qui lui furent assignés comprenait une grande partie de l’état d’Ohio, et n’avait pas moins de cent lieues de tour. Cartwright était contraint de franchir quatre fois l’Ohio à chaque tournée trimestrielle. Il lui arriva d’avoir des circuits encore plus étendus, et d’être obligé de faire cent cinquante lieues pour assister à la conférence annuelle des