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comportent. Peut-être faudra-t-il étendre alors la ceinture des forts extérieurs et donner d’autres proportions à ce système de défense. M. Michel Chevalier ne faisait qu’effleurer cette partie du débat, pour aborder des considérations plus générales. Pour lui, cette enceinte armée n’était pas seulement une dépense inutile et onéreuse ; c’était encore et surtout une menace contre l’esprit de paix, véritable boulevard de la France, et qui devait mieux la garder que cet appareil belliqueux. Dans une Lettre adressée au comte Molé, il reprit le thème de ses débuts, et s’inspira des réminiscences du Globe pour combattre le retour des passions militaires. Quoique plus sobre de philippiques et de dithyrambes, cet écrit respire un enthousiasme auquel les hommes politiques ne pouvaient guère s’associer. L’auteur leur signalait comme un fait évident la marche de l’Europe vers une sorte d’unité semblable à celle qu’avait déterminée en Grèce l’établissement du conseil des amphictyons, mais mieux cimentée, plus solide, plus efficace pour la prospérité des états coalisés et pour le bonheur du genre humain. Que s’il fallait un aliment à l’ardeur des populations, il y avait en perspective d’autres conquêtes plus conformes à la raison et à l’intérêt universel : c’était l’influence de l’Europe exercée en commun sur les parties du globe encore livrées à l’engourdissement de la barbarie ; c’était la civilisation reculant chaque jour son domaine, imposant ses bienfaits, économe d’un sang généreux et laissant sur son passage, au lieu de ruines, les élémens de richesses méconnues ou enfouies. Tels étaient les conseils de M. Michel Chevalier, ou, si l’on veut, ses illusions ; il supposait aux hommes plus de sagesse qu’ils n’en ont et aux leçons du passé une puissance dont les événemens se jouent ; il jugeait ces questions avec une philosophie mêlée d’imagination, c’est-à-dire en dehors et au-dessus des faits ; il ne voyait pas ce qu’elles deviennent dans le choc des rivalités et les enivremens de la gloire.

On a vu que cet écrit était adressé au comte Molé. De la part de l’auteur, c’était un acte de reconnaissance. Parmi les personnages qui se partageaient alors l’exercice du pouvoir, M. Molé et M. Guizot étaient ceux qui avaient donné à M. Michel Chevalier le plus d’encouragemens et de témoignages de bienveillance. Leur appui ne lui fit jamais défaut, et quand il songea à la carrière politique, ils lui en ouvrirent l’accès. Dès 1836, à l’occasion d’une crise commerciale qui éclata aux États-Unis, une mission lui avait été confiée pour aller sur les lieux en étudier les causes, et juger les effets qu’elle pouvait avoir sur nos relations avec ce pays. Un incident fâcheux empêcha cette mission d’aboutir. Trois jours après son arrivée à Londres, comme il revenait une nuit d’une séance du parlement dans la voiture de M. de Bourqueney, alors notre chargé d’affaires, les che-