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de la liberté l’empire du règlement, rendre le gouvernement l’arbitre de l’activité individuelle sous toutes les formes.

À cela que répondaient les philosophes et les économistes ? Au nom des droits de la pensée, les philosophes soutenaient que si la liberté de tout dire a des inconvéniens, il y en a de bien plus graves attachés à l’obligation de tout taire, que dans bien des cas le silence est plus mortel que le bruit, et que si celui-ci peut aboutir à l’agitation, celui-là contient en germe l’abaissement, que d’ailleurs l’exercice d’un droit a pour correctif dans ses écarts le désaveu de la conscience publique et la garantie des dispositions pénales, tandis que l’absence de ce droit crée un vide que rien ne peut combler, frappe les opinions de langueur et mine un pays par le sentiment le plus fatal qui puisse y éclore, l’insouciance de ses propres destinées. Au nom de la franchise des intérêts, les économistes disaient que ces intérêts sont les meilleurs juges du régime qui leur convient, et que le plus juste comme le plus profitable est une parfaite égalité de traitement, qu’aucun équilibre artificiel ne vaut celui qui s’établit naturellement entre eux dès qu’ils sont abandonnés à eux-mêmes, que cette vie agitée est la seule qui puisse les conduire à leur plein développement, les tenir en haleine, les dégager des intrigues qui accompagnent le règne de la faveur, et les élever par l’indépendance au souci de leur dignité. On le voit, tout se lie et s’enchaîne dans ces deux raisonnemens ; c’est la même cause et la même défense. L’émancipation de la pensée et l’émancipation du travail sont deux sœurs jumelles ; il y a communauté d’origine et communauté de but : accepter l’une et repousser l’autre, c’est se montrer inconséquent.

Ces vérités, si élémentaires qu’elles soient, sont bonnes à rappeler quand on parle de l’économie politique ; elles la replacent sur sa base la plus solide. Au milieu des analyses subtiles et des définitions contestées qui se produisent en son nom, quelquefois l’esprit se prend à douter que ce soit une science aussi vérifiée que ses partisans le prétendent. Un tel doute devient impossible quand on rend à l’économie politique son vrai caractère, lorsqu’on l’envisage comme une des formes essentielles de la liberté. Hors de la liberté, point de force, point de justice, point de grandeur : voilà en quoi se résume l’économie politique dans son expression la plus concise. C’est ainsi qu’elle fut comprise à ses débuts, c’est ainsi qu’elle poursuit sa marche à travers les obstacles qu’on lui suscite et les pièges qu’on lui tend. On n’est économiste qu’à la condition d’avoir le goût et la notion de la liberté, et plus ce goût et cette notion sont complets, plus on est apte à résoudre les difficultés que rencontre toute doctrine dans l’analyse de ses élémens. Qu’on prenne en effet un à un