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seconde ligne. Plus un pays a de forces productives, plus il est placé haut dans l’échelle de l’aisance et de la prospérité ; ce sont au moins des forces propres, des ressources qui lui appartiennent, et que rien ne peut lui enlever. Une fois créées, n’importe par quelles voies, elles deviennent partie du fonds commun, participent de la solidité du sol et sont pour ainsi dire indestructibles. Voilà l’argument, et je ne crois pas l’avoir affaibli. La conséquence serait que les tarifs, même dans leur exagération, sont un instrument de fortune, et qu’à ce titre on n’en saurait trop user. Sous une apparence de solidité, il n’y a rien là-dedans qui soutienne l’examen ; c’est simplement une équivoque. L’économiste allemand prend évidemment le mot de production dans un sens restreint, et prétend donner à de certaines productions le pas sur les autres. La raison et la science n’admettent pas ce régime de faveur. Toutes les productions se valent et arrivent sur le marché à titre égal ; elles concourent toutes à la richesse d’un pays sans distinction d’origine ; si elles diffèrent, c’est par les services qu’elles rendent et le prix qu’on y met. La véritable qualité de la production n’est pas d’être nationale, mais économique, et de défrayer plus de besoins à moins de frais. Une production coûteuse est moins une richesse qu’une charge ; elle ne subsiste qu’aux dépens d’autres productions qui naîtraient sous l’empire du droit commun plus naturellement et par conséquent plus utilement. Si l’on examinait toutes celles qui vivent d’artifice, on verrait que sous le couvert d’avantages hypothétiques, elles aboutissent à des dommages évidens. Moins elles ont en elles-mêmes de raisons d’être, plus il faut qu’elles en empruntent ailleurs. La vraie mesure en cela, c’est encore la liberté, qui laisse les forces où elles sont, ne prend pas aux uns pour donner aux autres, n’intervient dans les inégalités naturelles que comme aiguillon, et ne distribue pas la richesse au détriment et au mépris de la justice.

Veut-on la preuve de ce que produit ce régime de concurrence, d’une application si facile et d’un effet si sûr : on n’a qu’à voir ce qu’est devenu notre pays depuis que ce régime y prévaut. Nulle part peut-être il n’existait plus d’inégalités naturelles : variété de climats, contrastes dans la structure du sol, dans les mœurs et les aptitudes des populations, tout y contribuait. Aussi des luttes ont-elles éclaté, et l’on sait avec quel acharnement. La métallurgie au bois a eu à souffrir de la métallurgie au charbon, le sucre de betteraves a empiété sur le sucre de nos colonies ; l’industrie a vu ses grands foyers aux prises, Lyon et Saint-Étienne contre Nîmes et Avignon pour la fabrication des soieries, l’Alsace contre la Normandie et la Flandre pour la filature du coton, les vins contre les fers, les cultures du midi contre les cultures du nord. Les capitaux, les voies de communication, le taux des salaires, l’assiette des indus-