Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/931

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

besoins qui s’ignorent sont ainsi éveillés, encouragés ; l’aisance et le luxe se répandent ; l’activité du travail s’excite par l’activité du débit, les moyens d’acquérir se multiplient, et peu à peu toutes les classes de la population sont appelées à jouir de ce qui était le privilège de quelques classes. Le seul souci légitime dans ce mouvement spontané est de maintenir entre les industries une égalité complète, de ne pas créer aux unes des positions d’où elles puissent dominer et opprimer les autres, de ne rien entreprendre en un mot contre le droit commun, la liberté et la justice, et s’il était prouvé que la concurrence intérieure ne suffit pas pour assurer à la communauté les bienfaits d’une consommation plus étendue, moins coûteuse, mieux proportionnée à ses besoins, l’intérêt public conseillerait d’appeler, en dépit des résistances, la concurrence étrangère à remplir un office qui ne peut plus rester vacant, et de rétablir entre ceux qui produisent et ceux qui consomment un équilibre qui serait détruit au préjudice de ces derniers.

Il me reste un point à débattre avec M. Michel Chevalier : c’est au sujet du volume intitulé la Monnaie. Ce volume est un véritable traité sur la matière, et nulle part les qualités de l’auteur ne se montrent sous un meilleur jour. Les renseignemens techniques et les considérations historiques éclairent le débat de manière à le rendre intelligible même à ceux qui y sont le plus étrangers. On y voit le rôle qu’a joué la monnaie depuis l’origine du monde, ce qu’elle était dans l’antiquité, ce qu’elle est dans les temps modernes, comment elle a été affectée par les découvertes du XVe et du XIXe siècle, et quelles ont été les conséquences de cette double révolution. On ne peut que souscrire à cette partie du travail de l’auteur, en louer l’ordonnance, en reconnaître l’intérêt ; mais, après avoir exposé les faits, M. Michel Chevalier en tire des conclusions au sujet desquelles il a rencontré plus d’un dissentiment. Dans son volume comme dans des études postérieures, il établit par des chiffres précis quel a été le mouvement de la production des métaux précieux, et montré combien elle s’est élevée dans la période récente par l’exploitation de gîtes nouveaux. Celle de l’or surtout a pris des proportions qui l’alarment, et il se demande quelle valeur réelle cet or pourra garder, si le flot qui nous arrive de la Californie et de l’Australie continue à monter avec la même rapidité. Passe encore si cet accroissement de production se balançait entre les deux métaux précieux, et si dans leur marche ascendante ils maintenaient leurs rapports : il n’y aurait dans ce cas à redouter qu’une dépréciation intrinsèque de toutes les valeurs monétaires, laquelle aboutirait à un enchérissement corrélatif dans les produits et les services dont elles sont la mesure et l’instrument d’échange. Le trouble ne