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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/96

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Saint-Pierre. Ce fut aussi vers cette époque qu’il fut chargé de construire les bâtimens du Capitole et l’admirable entablement du palais Farnèse, la plus inspirée de ses œuvres d’architecture. Ne pouvant plus peindre, il avait commencé comme récréation, « et parce que le travail du maillet était nécessaire à sa santé, » la Déposition de Croix, qui se voit aujourd’hui inachevée derrière le maître-autel du Dôme de Florence.

Malgré son âge déjà avancé, il était encore très actif et d’une telle vigueur, que Blaise de Vigenère, qui le vit travailler à peu près à cette époque, en parle ainsi : « Je l’ai vu, bien qu’âgé de plus de soixante ans, et encore non des plus robustes, abattre plus d’écaillés d’un très dur marbre en un quart d’heure que trois jeunes tailleurs de pierres n’eussent pu faire en trois ou quatre, chose presque incroyable à qui ne le verrait, et il y allait d’une telle impétuosité et furie, que je pensais que tout l’ouvrage dût aller en pièces, abattant par terre d’un seul coup de gros morceaux de trois ou quatre doigts d’épaisseur si ric-à-ric de sa marque, que s’il eût passé outre tant soit peu plus qu’il ne fallait, il y avait danger de perdre tout, parce que cela ne se peut plus réparer par après comme les ouvrages d’argile et de stuc[1]. »


V.

Michel-Ange travailla jusqu’à ses dernières années à la Déposition de Croix et à une Pietà inconnue dont parle Vasari ; mais il n’entreprit aucun autre ouvrage de sculpture ou de peinture. Il vieillissait : le temps des grandes créations était passé. C’est à l’immense administration des constructions de Saint-Pierre et à d’autres travaux d’architecture qu’il devait consacrer désormais une activité que l’âge ne ralentissait pas. Je n’ai pas voulu interrompre la partie la plus longue de sa vie, dont ses œuvres d’art sont les événemens caractéristiques et principaux, pour étudier de plus près ses sentimens, qu’il a dévoilés d’une main trop avare dans ses vers et dans quelques lettres qui nous ont été conservées, et que l’ardent et pur attachement qui le lia à la marquise de Pescara éclaire d’un jour inattendu. La figure à demi voilée de cette noble femme complète celle du grand Florentin, et on ne voit pas sans plaisir que chez lui le cœur, qui semblait avoir sommeillé pendant plus de soixante ans, n’était pas animé d’une vie moins puissante que le génie.

M. Varcollier, qui a donné une agréable traduction française de la plupart des sonnets et de quelques-uns des autres petits poèmes de Michel-Ange, rappelle avec complaisance que le Pindemonte appelait l’auteur de la Sixtine « l’homme aux quatre âmes. » Pour être tout à fait juste, il faut convenir, comme l’a fait M. Vitet dans une très judicieuse notice, que l’une des âmes du grand sculpteur avait été « moins richement dotée que ses sœurs[2]. » Les images gracieuses et surtout les pensées fortes et sévères abondent dans les vers de Michel-Ange. Sa langue correcte,

  1. Les Images de Philostrate, par Blaise de Vigenère, Paris 1629.
  2. L. Vitet, Études sur les Beaux-Arts, tome Ier, page 423.