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station d’Edmonton, où la caravane devait trouver le terme de tant de misères.

M. Kane demeura près de quatre mois à Edmonton, jouissant du comfortable de la vie civilisée, c’est-à-dire couchant dans un lit et certain de dîner à son heure, sans rompre tout à fait avec les émotions de la vie indienne. Il lui suffisait de franchir l’enceinte du fort pour rencontrer les tribus de peaux-rouges et les troupeaux de buffles. Cependant il faisait très froid, la neige couvrait le sol, et il était difficile de s’arracher au bien-être du coin du feu. Voici Noël ! La petite colonie se prépara à célébrer dignement cette grande fête, sans distinction de secte ni de couleur. Le missionnaire protestant et le missionnaire catholique, le chef de l’établissement et ses commis, le nouveau-venu, M. Kane, s’assirent à la même table, pendant que les Indiens, admis dans l’intérieur du fort, faisaient de leur côté réveillon à la mode du pays. Peut-être le menu d’un festin sous cette latitude ne semblera-t-il pas indigne d’être reproduit. Au premier plan figure le buffle ; la bosse et la langue de cet animal sont très estimées ; puis viennent la tête de daim, le canard sauvage, la queue de castor, le poisson à la moelle de buffle ; pour légumes, des pommes de terre et des navets. Voilà un repas de Noël à Edmonton. Après le dîner, la salle s’ouvrit à toute la population, indienne ou métisse, pour le bal qui se prolongea pendant une partie de la nuit. Les femmes indiennes étaient venues parées de leurs plus beaux atours : robes de peaux avec dessins de couleur, colliers de perles, éventails, etc. Les hommes avaient déployé toute leur coquetterie dans le tatouage de leur figure. Le bal fut très animé, les Indiens se livrant avec passion à tous les exercices du corps, et leurs danses pouvant aller de pair avec les exercices les plus violens. La danseuse saute sur place, et presque à pieds joints, pendant que le danseur tourne autour d’elle en faisant d’immenses pas, ou plutôt des bonds démesurés. M. Kane ne dédaigna pas de s’essayer à cette chorégraphie en gambadant autour des jeunes filles de la tribu des Crees. L’une d’elles, répondant au nom poétique de Cun-ne-wa-boum, ce qui veut dire « femme qui regarde les étoiles, » lui parut si belle qu’il sollicita la grâce de faire son portrait, et l’image de la peau-rouge d’Edmonton, image peu flattée sans doute, est placée comme une dédicace à la première page du volume où le voyageur a recueilli tant de souvenirs.

Une autre fête égaya le séjour de M. Kane à Edmonton. Le chef de la station maria sa fille à un gentleman, également employé de la compagnie, qui résidait au fort Pitt, à deux cents milles de là. On conçoit que dans ces contrées les maris ne se trouvent pas sous la main. La colonie eut à cette occasion une seconde représentation des fêtes