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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/99

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maritaine rencontrant Notre-Seigneur près de la fontaine. » Condivi ajoute : « Il aima passionnément la marquise de Pescara, dont l’esprit divin l’avait séduit, et ne fut pas moins aimé d’elle. Il conserve de cette dame des lettres pleines de l’amour le plus chaste et le plus tendre, et telles que pouvait seulement les écrire une femme pareille. »

La figure douce et sévère de la marquise de Pescara reste couverte d’une sorte de mystère. Cependant des recherches et des documens nouveaux jettent quelque jour sur la noble femme et sur ses relations avec Michel-Ange. Vittoria Colonna, marquise de Pescara, naquit à Marino, l’antique fief de sa famille, en 1490. Son père, Fabrizio Colonna, avait embrassé la cause de la maison d’Aragon, et ce fut par l’intermédiaire du jeune roi Ferdinand que Vittoria fut fiancée dès l’âge de quatre ans à Ferdinand d’Avalos, marquis de Pescara, dont la famille, originaire de Castille, était fixée dans le royaume de Naples. Elle reçut cette éducation forte et romanesque qui donne un caractère si particulier aux femmes du XVIe siècle. Un peu de pédantisme et de recherche n’excluait chez elles ni la grâce ni la tendresse, et on leur pardonne leur latin en faveur de la force et de la noblesse de leurs sentimens.

Vittoria fut recherchée par les plus grands personnages du temps, entre autres par les ducs de Savoie et de Bragance; mais elle avait grandi avec le jeune Ferdinand. Son goût avait confirmé le choix de sa famille, et aussitôt qu’elle se connut, comme elle le dit elle-même dans un de ses sonnets, « son cœur proscrivit tout autre sentiment. » Elle épousa le marquis de Pescara en 1507. L’un et l’autre étaient âgés de dix-sept ans seulement.

Le mariage de ces jeunes gens fut célébré avec la plus grande pompe. Ils passèrent plusieurs années d’un bonheur égal et parfait dans une villa qu’ils possédaient dans l’île d’Ischia. Cependant ils n’avaient point d’enfans, et l’inaction pesait au jeune marquis. Jules II venait d’entraîner Ferdinand d’Aragon dans sa ligue contre la France. Pescara lui offrit ses services, qui furent acceptés. Nommé général de la cavalerie aussitôt après son arrivée à l’armée, il prit part à la bataille de Ravenne et fit des prodiges contre Gaston de Foix. Blessé et fait prisonnier, il fut conduit à Milan, ainsi que le cardinal de Médicis, qui fut plus tard pape sous le nom de Léon X. C’est pendant sa captivité qu’il composa ses dialogues sur l’amour, qu’il dédia à sa femme comme un témoignage de la fidélité de ses sentimens.

Pendant les douze années qui suivirent, les deux époux ne se virent qu’à de rares intervalles et presqu’à la dérobée. Pescara avait été chargé des plus importans commandemens dans les armées de Charles-Quint. A mesure que sa réputation s’accroissait, ses devoirs militaires devenaient plus graves et plus absorbans. Vittoria de son côté passait ces longues années de veuvage anticipé tantôt à Ischia, tantôt à Naples, renfermée dans son amour, et ne prenant d’autres distractions que les études et les lectures les plus sérieuses. Dès 1521, la renommée de Pescara était telle qu’il partageait avec le vieux Prosper Colonna le commandement, de l’armée impériale. Ce fut lui qui recueillit Bayard mourant sur le champ de