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dès lors une première atteinte. Dans le sein de l’école de Paris, devant le même auditoire que La Romiguière, Royer-Collard institua une opposition qui devait bientôt triompher ; M. Cousin et ses disciples ont fait le reste. Ce ne sont pas quelques objections ingénieuses et justes mêlées par Bonald à une foule de concessions contradictoires, de méprises singulières et de subtilités hasardées, qui auraient pu ébranler alors dans l’esprit de la jeunesse la tradition du XVIIIe siècle, et les doctrines superficielles et passionnées de son parti n’auraient jamais pu entrer en lutte sérieuse avec l’esprit calme et sensé qui respire dans toute l’œuvre de l’auteur de l’Essai sur l’Entendement humain. C’est l’Université de France, représentée par une critique savante, lumineuse, éloquente, qui seule a changé la face de notre monde philosophique, et malgré l’ingratitude dont on a payé leur service, c’est peut-être aux chaires de la parole laïque que d’autres chaires ont dû de se faire mieux écouter.

Toute victoire abuse, et malgré la vérité de tout ce que Leibnitz et Reid ont dit contre certains principes de la métaphysique de Locke, il se peut que cette doctrine ait été à quelques égards jugée par une réaction. Peut-être aujourd’hui a-t-elle une réputation trop mauvaise ou trop peu de réputation, et n’est-il pas juste de la condamner à l’oubli et au dédain, parce que, s’étant trompée sur un point fondamental, elle ne doit plus prétendre au titre de vraie philosophie élémentaire de l’esprit humain. Sans tenter pour elle une complète réhabilitation qui ne serait ni possible ni désirable, il est difficile de n’être pas frappé de quelques sincères efforts récemment faits en Angleterre pour relever ce qu’on a appelé la philosophie nationale. On serait surtout disposé à rendre crédit et faveur à l’œuvre lorsque l’on connaît l’ouvrier, à chercher un philosophe dans les écrits de Locke lorsqu’on le rencontre dans sa vie sous des traits si nobles et si purs. C’est, nous l’avouons, sa personne, ce sont ses sentimens, ses opinions et ses actions qui nous ont surtout ramené à un peu plus d’attention pour ses doctrines, et fort éloigné de songer à les défendre de quelques critiques méritées, nous aurions goût à leur rendre le caractère qu’elles doivent avoir, non dans la science, mais dans l’histoire, et à leur regagner plus d’estime en représentant dans tout son jour la figure sereine et digne de celui qui, malgré des erreurs, peut encore être regardé comme un des plus fidèles et des plus utiles serviteurs de la vérité. La vie de Locke mériterait d’être écrite. On trouverait pour l’écrire des documens historiques qui, pour être peu connus, n’en sont pas moins à la portée de tous, et dont un simple extrait suffira pour une esquisse destinée à les faire lire plutôt qu’à les suppléer. Les élémens d’une vie complète de Locke se trouvent, après ses