Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/1004

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a qu’à examiner de près récrit le plus important que cette controverse ait produit, celui de M. l’évêque d’Orléans. Certes le caractère de M. Dupanloup est digne de respect : son mérite et son talent sont incontestables. M. Dupanloup compte à coup sûr parmi les membres les plus éclairés, nous allions presque dire les plus libéraux de l’épiscopat français. Cette déclamation ardente qu’il vient de publier sous le titre de protestation est un morceau d’une rare éloquence ; mais rien n’est plus faible, nous oserons dire plus injuste, que son argumentation. Son discours est marqué d’un défaut auquel le clergé échappe rarement, lorsqu’il entre dans le débat des questions politiques. Ces questions sont essentiellement pratiques ; l’amplification à laquelle le langage ecclésiastique s’abandonne si volontiers leur est antipathique ; elles ne sont élucidées que par le bon sens qui ne grossit rien, qui s’efforce de voir les choses dans leur juste mesure, qui ne perd point le lien des faits, et qui établit ses conclusions sur la simple réalité. La protestation de M. l’évêque d’Orléans prend toutes les licences du procédé oratoire que l’on pourrait appeler clérical par excellence, l’hyperbole. Principes, choses, mots, elle outre tout. Des provinces qui ont été soumises au saint-siège se déclarent indépendantes après quarante-cinq années d’un détestable gouvernement ; M. Dupanloup évoque le principe du pouvoir temporel de la papauté, qu’il égale au principe de l’indépendance spirituelle du saint-siége. La papauté ne possède les Romagnes que depuis la fin du xve siècle ; rien n’est plus prosaïque et vulgaire, rien n’est moins miraculeux que la façon dont elle a acquis ces possessions : ce sont des surprises ou des guerres, pour ne point appliquer de nom plus vif aux entreprises d’un César Borgia, de Jules II, de Clément VIII ; M. Dupanloup invoque en faveur de la domination pontificale sur ces provinces le mystère du droit divin et de la légitimité. Tous les hommes instruits, toute la noblesse, toutes les classes commerçantes de la Romagne, après avoir demandé vainement au saint-siège, pendant un demi-siècle, une administration intelligente et équitable, un système financier raisonnable, des juges probes, une politique conforme aux inspirations de la nationalité italienne, sont contraints de chercher ailleurs les conditions d’un bon gouvernement ; pour M. Dupanloup, ce sont des révolutionnaires, et l’on sait toutes les horreurs qu’enveloppent sous cette dénomination vague et terrible ceux qui la prennent en mauvaise part. Le roi de Sardaigne, obligé en effet, par le plus pressant des devoirs, de ne point abandonner aux désordres révolutionnaires, et, si l’on nous passe un mot trivial, de ne pas laisser dans la rue ces populations démoralisées et exaspérées par les fautes du gouvernement pontifical, le roi de Sardaigne est, aux yeux de M. Dupanloup, le fauteur, le complice d’une spoliation sacrilège. Que peuvent gagner, nous ne dirons pas la paix de l’Italie, le repos de l’Europe, mais le pouvoir temporel du saint-siège, l’honneur de l’église, à de telles exagérations ?

Le pouvoir temporel des papes est, au point de vue pratique, un fait assez compliqué, assez épineux : si les apologistes de ce pouvoir voulaient, comme M. Dupanloup, l’ériger en un principe absolu et pousser ce principe à ses extrêmes conséquences logiques, il serait radicalement impossible. Il s’agit simplement aujourd’hui, pour la papauté, d’une de ces questions de posses-