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existans et de fondre en une seule les deux corporations, on aima mieux en créer une troisième, qui eut le monopole du mélange.

S’il est vrai, comme l’assure M. de Tocqueville, que toute la politique intérieure des rois de France se résume dans ces deux mots : « diviser pour régner, » les corporations secondèrent admirablement leurs vues. Ce n’étaient que compétitions, saisies et procès interminables. Un forgeron ne pouvait faire une clé, ni un ébéniste une serrure, ni un tailleur la réparation d’un vieil habit, ni un fripier un habit neuf. Les fripiers, tenus en bride par les tailleurs, qui les empêchaient de se servir d’étoffes neuves, se vengeaient sur les femmes de leurs adversaires quand elles s’avisaient de faire un point ou de coudre un bouton aux chausses de leurs maris. Les savetiers s’attirèrent une mauvaise affaire avec les cordonniers, parce qu’ils s’étaient permis de faire des souliers neufs pour leurs femmes et leurs enfans. Les lormiers, fabricans de mors et d’éperons, firent défendre aux selliers d’exposer en vente cette partie du harnachement d’un cheval. Il y avait pour ainsi dire une guerre permanente entre les foulons et les teinturiers. Un arrêt du parlement décida, après un procès de trois siècles, que les tailleurs ne pourraient employer pour la doublure d’un pourpoint une étoffe ayant déjà servi, parce que ce serait empiéter sur le privilège des fripiers. Les merciers, vendant un peu de tout, avaient des procès avec tout le monde. Les gantiers leur firent défendre de recoudre les gants ; il leur fut seulement permis de les enjoliver par des broderies. Ils n’en purent avoir que trois douzaines empilées sur le comptoir, et deux paires dans la montre. Ce fut pendant près de cent ans un crime punissable de trois mille livres d’amende, et en récidive de la privation de maîtrise et de l’emprisonnement, que de mêler la soie au castor dans la fabrication des chapeaux. Toutes ces querelles, qui dévoraient une partie de la fortune des corporations, avaient pour déplorable conséquence d’entretenir le chômage. Comme on ne pouvait faire partie à la fois de deux corporations, dans tous les métiers qui n’occupent leur homme qu’une saison, il y avait disette de bras dans le bon moment, et disette d’ouvrage le reste de l’année. C’est seulement en 1762 que les habitans des campagnes obtinrent la permission de filer et de faire de la toile, encore cette autorisation fut-elle restreinte aux seules localités où il n’y avait pas de tisserands. Un chaussetier, homme de génie, inventa un jour de remplacer les cordons qui attachaient les braies au pourpoint par des aiguillettes. Le public fut de son avis, et trouva les aiguillettes plus commodes et plus élégantes. Les gardes du métier firent un procès qui dura quinze ans, et c’est en 1398 que le public