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soucieux de religion, d’éducation, de politique, aurait traversé ces grandes épreuves de la raison humaine, qu’on appelle révolutions, en s’enfermant dans la prison de la spéculation pure, et qu’endormi sur tout le reste, il n’aurait rêvé que de métaphysique ? Comment ignorer enfin que Locke, le fils d’un soldat de l’armée parlementaire, avait lui-même souffert, fidèle à la cause pour laquelle Hampden est mort au champ d’honneur et Sidney sur l’échafaud ?


I

John, fils aîné de John Locke de Pensford, près de Bristol, naquît le 29 août 1632 à Wrington, ville du comté de Somerset. Son père, d’abord premier clerc d’un juge de paix de Chew-Magna, servit comme capitaine dans les troupes du parlement, compromit sa modique fortune dans la guerre civile, et n’y gagna que la protection du colonel Popham, dont il avait été intendant ou secrétaire, et qui fit entrer son fils à l’école de Westminster. Dans sa vingtième année, le jeune étudiant fut admis au collège de Christ Church, de l’université d’Oxford, alors placé sous la direction du docteur Owen, ancien chapelain de Cromwell et l’un des premiers théologiens de la secte des indépendans. On a conservé des vers médiocres qu’il composa en latin et en anglais à l’occasion de la paix de 1653 avec la Hollande. Il y met sans hésiter Cromwell au-dessus de César et d’Auguste, car l’un ne fit que vaincre, l’autre que pacifier le monde, et Cromwell a fait à lui seul ce que l’un et l’autre ont fait. Or, si Rome les appela grands et les crut des dieux, comment ne pas tenir Cromwell pour un envoyé du ciel ?

Bachelier en 1655 et maître ès-arts trois ans après, il fut répétiteur de grec en 1661, lecteur en rhétorique l’année suivante, et en 1663 censeur de philosophie morale. L’université d’Oxford s’enorgueillit aujourd’hui d’avoir nourri ce John Locke, dont elle montre un remarquable portrait dans une des salles de Christ Church. Cependant l’élève, comme tous les promoteurs de la philosophie moderne, mordit le sein de sa nourrice. Il ne pensait pas plus de bien de l’université d’Oxford que, quatre-vingts ans auparavant, François Bacon n’en avait pensé de l’université de Cambridge. Malgré ses succès dans ses classes, Locke trouvait que l’on sacrifiait trop à l’étude des humanités ; il était un peu froid à la poésie et à l’éloquence, et surtout il ne pouvait s’accommoder de l’enseignement de la philosophie scolastique. Il n’hésitait pas à lui préférer la doctrine de Descartes, dont les livres donnèrent le premier éveil à sa