Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où ils célébraient dans une des plus magnifiques vallées de la chaîne Wahsatch l’anniversaire de leur arrivée dans la terre promise où Brigham Young les avait conduits en 1847 : au milieu de la fête, deux cavaliers accoururent en toute hâte, annonçant que le service des dépêches était suspendu et que les troupes américaines étaient en marche. Brigham Young exalta jusqu’au fanatisme la fureur de ses sujets, les encouragea à la résistance, déclara solennellement que le territoire d’Utah cessait de faire partie des États-Unis, qu’il perdrait désormais ce nom pour prendre le nom mormon de Deseret. Il organisa militairement son peuple, et forma une légion qui prit le nom de légion de Nauvoo.

Les terreurs qui se déguisaient mal sous cet enthousiasme guerrier étaient prématurées : les opérations de l’armée expéditionnaire se trouvèrent en effet gênées par une multitude d’obstacles. En l’absence du général Harney, retenu au Kansas, le colonel Alexander, du 10e d’infanterie, avait pris le commandement. Le 27 septembre, après deux mois de marche, il avait déjà parcouru plus de 1,000 milles, et était arrivé au-delà de la Rivière-Verte, un des principaux affluens du Rio-Colorado. Il reçut à ce moment la visite du capitaine Van Vliet, qui revenait du grand Lac-Salé ; cet officier était le quartier-maître de l’état-major du général Harney. Ignorant les intentions belliqueuses des mormons, le général l’avait dépêché à la capitale d’Utah pour y prendre toutes les dispositions relatives à la réception des troupes américaines. Le capitaine Van Vliet raconta au colonel Alexander qu’il avait été reçu d’une manière très hospitalière par Brigham Young, mais que les mormons lui avaient annoncé leur intention de résister à l’armée fédérale. Il était porteur d’une proclamation où Young dénonçait cette armée comme une bande d’assassins, et lui défendait d’entrer dans son territoire. La position de l’armée devenait embarrassante : elle se concentra sur Ham’s-Fork, un confluent de la Rivière-Verte. Le manque de cavalerie rendait la défense des convois presque impossible. Pendant la nuit du 5 octobre, un parti de mormons réussit, sans brûler une amorce, à en intercepter deux, dont chacun comprenait vingt-cinq voitures. Le lendemain, un autre fut enlevé ; les voitures, avec tout ce qu’elles contenaient, furent brûlées. Le colonel Alexander apprit au même moment que les mormons élevaient des retranchemens dans une des gorges les plus étroites des monts Wahsatch, le cañon[1] de l’Écho, passage si resserré qu’une poignée d’hommes pourrait y arrêter une armée. Il n’y a d’autre moyen d’éviter cette

  1. On emploie dans toute cette partie de l’Amérique le mot espagnol canon pour désigner les défilés les plus resserrés des vallées.