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d’assurer la conquête du Milanais au roi de Sardaigne, à la condition que celui-ci aiderait à procurer à l’infant don Philippe un établissement princier composé de Parme, Plaisance et quelques autres territoires. Mantoue serait donnée aux Vénitiens ; la Toscane resterait à la maison de Lorraine, mais sans pouvoir être rattachée à la couronne impériale. Un dernier projet de traité avait une bien autre importance et exprimait l’idée vraiment neuve, du marquis d’Argenson. L’Italie, une fois affranchie de la domination impériale, formerait une confédération. Il y aurait une armée fédérale de quatre-vingt mille hommes, divisée en deux corps, dont l’un serait commandé par le roi de Sardaigne, l’autre par le roi de Naples. Des assemblées de ministres des divers états délibéreraient sur les intérêts communs. Les princes confédérés se garantiraient mutuellement leurs possessions. Enfin le saint-siège serait invité à accéder à la confédération. Tel était le plan du marquis d’Argenson en 1745.

On a pensé généralement et on a dit que le roi Charles-Emmanuel s’était hâté de saisir cette idée, dont la réalisation n’avait trouvé d’obstacle que dans la violente opposition de la cour de Madrid, et la vérité est cependant que le projet du marquis d’Argenson, antipathique sans doute à la reine d’Espagne, à qui il enlevait l’espoir du Milanais, souriait aussi peu au Piémont, qui y voyait une combinaison désastreuse pour ses intérêts. Chasser les Allemands de l’Italie, c’était une idée qui pouvait répondre aux plus secrets désirs de la maison de Savoie, mais non pour les causes qu’on imaginerait aujourd’hui, et dans tous les cas c’était à la condition que la puissance impériale ne serait point remplacée indirectement par une autre prépondérance. Les raisons de toutes les répugnances de la cour de Turin contre le projet du ministre français ont dormi longtemps dans les archives. M. Carutti les révèle aujourd’hui et les résume avec clarté dans son Histoire de Charles-Emmanuel III. « La fédération italienne imaginée par Louis XV et par le marquis d’Argenson, dit-il, — à quoi se réduisait-elle en substance ? Elle faisait disparaître de l’Italie la bannière germanique, elle mettait fin aux dépendances plus ou moins nominales qui unissaient quelques états à l’empire, et elle substituait l’autorité et la prédominance de la maison de Bourbon. Le seul pays qui eût une vie propre, le Piémont, était annulé par cette puissance, qui lui fermait toute communication avec les grands états de l’Europe. Qui pouvait s’opposer à Louis XV et à Philippe V, régnant à Naples et à Parme comme à Versailles et à Madrid ? Était-ce le faible pontife, ou le Toscan amolli, ou Gênes, espagnole depuis deux cents ans, ou Venise, enfermée dans ses lagunes, ou les petits duchés de Modène et de Guastalla ? Et dans l’assemblée fédérale, qui dominerait par le nombre des suffrages, par les clientèles ou les influences sur les petits princes ? Le