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et la guerre finissait d’une façon bien plus désastreuse encore.

Je m’arrête. C’est là le XVIIIe siècle dont M. de Carné et E. Carutti ravivent le souvenir, l’un en montrant ce que fut la France, l’autre en montrant ce que furent le Piémont et l’Italie dans ces mêlées européennes. Et au bout de tout cela, qu’arrivait-il ? On avait rêvé toute sorte de projets pour neutraliser la prépondérance de l’Autriche en Italie, et cette prépondérance s’établissait plus que jamais. On avait voulu ruiner le roi de Prusse, et la Prusse grandissait sous la main vigoureuse de son roi. Charles-Emmanuel III lui-même donnait au Piémont quelques-unes de ses plus belles provinces. Quant à la France, sauf l’annexion de la Lorraine, fruit de la guerre de 1733, elle laissait démembrer la Pologne ; elle perdait ses possessions de l’Inde, et elle suivait au hasard une politique incohérente qui ne conduisait à aucun but, — cette politique que M. de Carné, dans ses éloquentes et lumineuses études, résume avec justesse quand il dit que « pour un état il y a un malheur plus grand que de persévérer dans un mauvais système, c’est de n’en avoir aucun. »

Un siècle et un amas de révolutions nous séparent de cette époque évanouie. Aujourd’hui, comme autrefois, l’Italie a sa place dans les querelles du monde ; mais les temps sont changés. On ne fait plus évidemment la guerre ou la paix par fantaisie ; on ne dispose plus des peuples et des couronnes, dans des négociations secrètes qui échappent au contrôle de l’opinion ; on ne met plus l’Europe en feu pour établir des princes : les peuples ont leur tour et veulent être entendus. On a dit bien souvent à l’Italie de vivre par elle-même, de ne pas toujours tout attendre de l’étranger, et cette Italie qu’on disait morte se met à marcher ; elle parle, elle s’organise avec ordre et dit ce qu’elle veut. Chose étrange ! il y a un siècle, on l’a vu, le dernier des Médicis, Jean Gaston, protestait avant de mourir contre le verdict des puissances qui « violaient le droit des gens en disposant du peuple toscan sans l’avoir consulté. » Il disait « qu’il serait absurde d’après les règles communes de la justice que, pour le bien de l’Europe, la Toscane dût endurer des dommages en échange desquels l’Europe ne lui donnerait ni compensation ni indemnité. » Ces paroles se perdirent dans l’air, et au milieu de toutes les révolutions de l’histoire, qui se reproduit souvent elle-même en se rectifiant, — qui sait si aujourd’hui, par une lointaine et singulière réparation, cette protestation du dernier des Médicis contre l’avènement de la maison de Lorraine à Florence ne va pas retrouver sa valeur et arriver à son échéance ? Car enfin ces Italiens sont de grands révolutionnaires : ils veulent être indépendans, et ils n’ont qu’à ouvrir leurs archives pour qu’il s’en échappe aussitôt une protestation séculaire et traditionnelle de nationalité !


CHARLES DE MAZADE.