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feuille périodique. Qu’une pareille organisation de la presse ait pu être justifiée par des circonstances exceptionnelles et transitoires comme celles où l’on invoque les mesures de sûreté générale, nous ne le rechercherons pas. Qu’un tel régime ait frappé la presse périodique d’une sorte de paralysie, cela n’est pas surprenant, puisque exposée à être punie pour des délits qui lui étaient inconnus, plongée dans une nuit toute peuplée de délits enfantés par son imagination, elle a dû prendre à tache de circonscrire ses franchises dans des limites bien plus étroites que celles qu’avait pu prévoir le législateur, et s’interdire la vie morale pour conserver la vie matérielle.

La presse française, exagérant par ses propres craintes les sévérités du décret qui la régit, a pour ainsi dire réalisé le tour de force du journal de Figaro. M. d’Haussonville vient, dans une Lettre aux conseils généraux publiée par un journal hebdomadaire, de décrire avec une piquante modération les conséquences extrêmes d’un tel régime. Après avoir remarqué que nos lois et les arrêts les plus récens accordent aux citoyens le droit de discussion et de censure du pouvoir exécutif et des ministres, il montre les difficultés pratiques contre lesquelles ce droit vient échouer. Dans son excellent écrit, M. d’Haussonville n’indique point les moyens que la constitution nous offre d’obtenir la réforme de cette législation, et il n’aborde pas les argumens de droit sur lesquels peut s’appuyer toute demande d’une réforme semblable. Les moyens constitutionnels existent, et nous n’avons pas besoin de dire que les argumens abondent. La constitution de 1852 a créé un corps politique, c’est le sénat, qui a les pouvoirs d’initiative les plus étendus : le sénat n’a pas seulement à examiner si les lois sont conformes aux principes de la constitution, et ne portent pas atteinte au droit de propriété ; il n’a pas seulement le droit de signaler au gouvernement les lois nouvelles qui lui paraissent demandées par l’intérêt du pays : ses pouvoirs s’étendent même sur la constitution, qu’il peut modifier par des sénatus-consultes. En même temps, c’est auprès du sénat que s’exerce le droit de pétition reconnu aux citoyens par la constitution. Le moyen constitutionnel de conquérir la liberté de la presse est donc simple : c’est le droit de pétition combiné avec l’initiative du sénat. Or il y a des causes qui sont gagnées dès qu’elles sont exposées : celle de la liberté de la presse est de cette nature. Non-seulement elle est appuyée par les raisons les plus pressantes, tirées de l’utilité, qui sont ordinairement invoquées dans les questions politiques ; mais elle est fondée sur les principes les plus manifestes du droit, sur la propriété, sur la liberté, sur l’égalité, sur les principes de 1789, invoqués par la constitution. Si, contre notre désir et notre attente, le gouvernement voulait, pour la réforme de la législation de 1852 sur la presse, mettre à l’épreuve le zèle des citoyens et l’action du sénat, auquel le Moniteur demandait, il y a quelques années, s’il avait bien compris sa mission, nous sommes convaincus que l’initiative des citoyens serait plus efficace qu’on ne le croit pour obtenir la réforme de la législation sur la presse. Ne pourrait-il pas suffire d’une pétition où le droit parlerait le langage simple, viril, irrésistible, qu’il a su tenir dans des revendications semblables, d’une de ces pétitions souveraines comme la vérité et empreintes en quelque sorte de la majesté de la loi, telles que certains peuples les montrent encore avec orgueil dans le livre d’or de leurs libertés ?