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à son zèle des allures serviles, il s’était fait le patron plus empressé qu’intelligent des agens envoyés en Espagne par les bureaux de Versailles pour appliquer les méthodes françaises à la confuse administration de ce pays. Il avait spécialement couvert de sa protection les premiers essais financiers d’Orry, de tous les Français celui qui, après d’Aubigny, était entré le plus avant dans la confiance de la princesse des Ursins. Ancien employé au contrôle-général, Orry était une sorte de doublure de Desmarets, dont il avait à la fois et la réputation véreuse et la haute capacité. Toujours prêt à assister le cardinal pour le travail du despacho, habile à découvrir de l’argent là où un ministre espagnol n’en aurait pas même soupçonné, Orry était devenu, malgré les clameurs de ses ennemis, la providence d’une cour besoigneuse. Sous prétexte de ménager la précieuse santé du cardinal et de lui laisser tout son temps pour des devoirs plus importans, il lui enleva un beau matin la totalité de ses attributions financières ; mais la princesse des Ursins, instrument caché de cette révolution anodine, gardait en réserve, pour le cardinal, une magnifique compensation. Elle le fit nommer colonel du régiment des gardes à la mort du marquis de Castagneda, et comme les fonctions militaires étaient les seules qu’il n’eût point exercées jusqu’alors, Porto-Carrero crut que celles-ci compléteraient son importance, s’y tenant pour aussi propre qu’aux innombrables emplois dont il était déjà titulaire. Lorsque cette nomination fut connue, un éclat de rire universel dérida la gravité habituelle de l’Espagne, et ce fut au bruit des sifflets que le prélat passa au Prado la revue de son régiment dans l’attitude de Richelieu sur la digue de La Rochelle.

Pour emporter cette forteresse, il fallait cependant des assauts plus décisifs, et ceux-ci furent livrés par le cardinal d’Estrées. Une bonne entente était, on le comprend, singulièrement difficile entre deux membres du sacré-collége, dont l’un se considérait comme le premier personnage, de la Péninsule et l’autre comme le premier diplomate de l’Europe. L’ancienne duchesse de Bracciano, qui les connaissait de vieille date, n’eut aucune peine à provoquer un conflit que rendait inévitable un désir commun de gouverner l’Espagne. Dans un accès d’humeur dissimulé sous les dehors d’une juste susceptibilité nationale, Porto-Carrero déclara qu’il ne pouvait plus supporter la présence de l’ambassadeur de France dans le despacho, et, afin de contraindre d’Estrées à s’en éloigner, il cessa d’y paraître lui-même. La présence habituelle d’un agent diplomatique dans le conseil d’un gouvernement étranger constatait assurément la bizarre situation de cette royauté importée, qui appliquait à Madrid la pensée de Versailles ; mais le duc d’Harcourt avait fait consacrer cet usage à l’avènement de Philippe V, M. de Marsin, prédécesseur