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s’en prévaloir à Versailles comme à Madrid. Une persévérance sans exemple dans la pensée et dans la conduite, une rare souplesse dans les moyens, en avaient fait l’instrument principal d’une entreprise dans laquelle la soutenait une ambition virile unie à un dévouement profond. Ne se troublant point des revers, ne s’enivrant jamais des succès, elle tempérait par son calme l’ardeur parfois imprudente de la jeune reine et ranimait par sa fermeté les défaillances fréquentes d’un roi morose. Elle jouissait donc avec un orgueil peu voilé de cette sécurité de l’avenir que l’Espagne avait conquise avant la Fiance, et dans son commerce avec Mme de Maintenon, ses lettres commençaient à se nuancer de teintes légèrement protectrices. C’est à ce point culminant de sa grandeur que l’attendait la fortune pour préparer l’humiliante catastrophe qui obscurcit encore le souvenir de ses services et jusqu’à l’honneur de son nom.

Ce fut un signe symptomatique de la phase nouvelle de sa vie que l’interprétation universellement défavorable donnée à une affaire dans laquelle il est juste pourtant de voir un échec plutôt qu’une faute. On sait que Philippe V, voulant reconnaître le dévouement de la gouvernante de son fils et assurer à cette noble femme une situation indépendante qui n’était pas au-dessus de sa naissance, avait stipulé, lors des préliminaires de la paix, la réserve d’un territoire des Pays-Bas espagnols cédés à l’Autriche, qu’il destinait à former une souveraineté pour Marie-Anne de La Trémoille. Cette négociation, qui porta successivement sur le comté de Limbourg et sur la petite seigneurie de La Roche-en-Ardennes, avait reçu d’abord à Versailles la plus complète approbation, car le reproche de jouer à la reine ne vint qu’après coup. La reconnaissance de leurs majestés catholiques fut trouvée naturelle et grandement louée, surtout par Mme de Maintenon. Il n’y a par conséquent pas trop à s’étonner si Mme des Ursins caressa une pareille perspective, surtout en prévoyance de la mort prochaine de sa bien-aimée protectrice, qui ne pouvait tarder à être remplacée dans la confiance et dans la couche de son époux. La cour de France ne changea d’avis que lorsque cette affaire de La Roche, fort mal prise par les Hollandais, fut devenue l’occasion d’un retard pour la signature de la paix générale. Alors les reproches accablèrent de toutes parts Mme des Ursins, et ceux qui venaient de Saint-Cyr portaient un caractère particulier d’acrimonie, qu’il ne faut point, avec le duc de Saint-Simon, attribuer là une jalousie dont il n’existe aucune trace, mais qu’explique chez Mme de Maintenon son désir d’assurer à tout prix le repos de Louis XIV. Ces reproches d’ailleurs manquaient de fondement, car les accusateurs de la princesse auraient pu remarquer que, si la France avait le droit d’attendre avec