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était advenu d’un bill voté dans la dernière session pour rétablir l’union entre les principales sectes protestantes par l’abrogation d’un acte du règne d’Elisabeth qui, dirigé contre les catholiques, était retombé sur tous les dissidens. C’est en effet grâce aux droits des dissidens, presbytériens, indépendans, baptistes, que l’Angleterre a fait la longue et laborieuse conquête de la liberté des cultes. Ce bill avait disparu, ou plutôt n’avait pas été soumis, à la sanction royale, que Charles II ne voulait ni accorder ni refuser. Ce singulier incident parlementaire est raconté en détail dans une curieuse lettre que Locke adressa d’Oxford, où il suivait les débats attentivement, à M. Stringer, un des confidens de Shaftesbury et de quelques autres lords de l’opposition (26 mars 1681). La résolution que manifesta le parlement de s’enquérir des circonstances de cette soustraction d’un bill revêtu de son approbation fut, dit-on, le dernier motif qui décida le roi à le renvoyer et à gouverner désormais sans parlement. La situation de Shaftesbury devint périlleuse. Il avait encouru l’inimitié de l’implacable duc d’York ; on le soupçonnait d’avoir songé au duc de Monmouth pour la couronne. Il passait pour le grand agitateur du parti, pour l’inventeur de tous les plans de résistance, pour l’âme de tous les complots. Il avait fait beaucoup ; mais l’opinion lui imputait bien plus encore qu’il n’avait fait. On connaît cette sorte d’hommes d’état dont l’habileté proverbiale finit par passer aux yeux du public pour un don mystérieux qui les rend partout présens et redoutables.

La presse du gouvernement, même le parti de l’église, qui se ranimait pour l’obéissance passive en voyant le despotisme à l’horizon, enfin les catholiques, dont la haine au moins était mieux justifiée, éclatèrent contre Shaftesbury. On raconte que sa vie fut secrètement menacée. Enfin, la résolution étant prise de le mettre en jugement, il fut amené devant le roi et son conseil. Il défia de produire des preuves contre lui, et n’en fut pas moins mis à la Tour au milieu de l’indignation du peuple. Poursuivi pour haute trahison, trois fois il tenta d’obtenir sa mise en liberté par les voies légales, et resta en prison jusqu’à ce que l’on crût avoir contre lui des preuves et des témoins ; pourtant, lorsque l’accusation si soigneusement construite fut enfin portée devant le grand jury, elle échoua, et une médaille fut frappée en témoignage de la publique allégresse.

Une fois libre, Shaftesbury voulut poursuivre ses accusateurs ; mais son acquittement avait été comme le dernier effort de la justice. Le pouvoir royal s’était énergiquement mis à l’œuvre. La cité, les tribunaux, les universités, les corporations, tout pliait, tout tombait devant lui. Shaftesbury crut que l’heure de la résistance