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analogues : la portée, le calibre, la puissance des pièces, étaient l’objet d’essais et d’études qui aboutissaient à une destruction à la fois plus énergique et plus savante, si bien que de l’ancien matériel il ne restait presque rien qui ne fût entamé, et qu’on avait devant soi pour ainsi dire table rase.

Ainsi s’explique le travail extraordinaire dont les ports et les arsenaux ont été et sont encore le siège des deux côtés du canal : tous les vaisseaux de ligne étaient à transformer et à refondre. Les coques même ne pouvaient servir qu’à la condition de subir des changemens dans les formes, dans le gabarit, dans tout ce qui en constitue les qualités nautiques, la force offensive et défensive. Quelques vaisseaux étaient coupés en deux pour recevoir un supplément de dimensions ; ceux-ci étaient rasés, ceux-là allongés par l’étrave : les ponts, les vaigres, les membrures se modifiaient sous la hache du charpentier. Aucune des anciennes installations n’avait été calculée en vue d’un appareil à feu ; il fallait trouver de l’espace pour ce nouvel hôte et son aliment encombrant,.sans trop empiéter sur celui qu’exigent les batteries, les munitions, les caisses à eau, les rechanges, les logemens de l’équipage : tâche difficile et coûteuse qui a mis à l’épreuve la science des ingénieurs, et n’a pu être conduite au point où nous la voyons qu’au prix de beaucoup d’expériences. Dans les débuts, il y eut un peu de timidité, et on ne voulut attribuer à la machine qu’un rôle accessoire : de là des vaisseaux mixtes, à vitesse insuffisante, et qui, combinés à deux fins, n’en remplissent sérieusement aucune. Plus tard, la hardiesse eut le dessus ; on prit la machine pour ce qu’elle doit être, le moteur principal, et on obtint le vaisseau de ligne complet, à vitesse suffisante, même à grande vitesse, dans les modèles les plus satisfaisans. C’est ainsi que les anciennes flottes, soit à flot, soit en chantier, ont été rendues aptes à un service nouveau ou le deviendront prochainement, grâce à la vigueur avec laquelle les travaux sont conduits.

Ces travaux étaient donc urgens : est-ce à dire que, malgré l’urgence, ils n’auraient pu être réglés avec plus de mesure et répartis sur une certaine période d’années de manière à n’avoir le caractère ni d’un défi, ni d’une menace ? Ici reparaît le vieil esprit de lutte, qui, pour se ranimer, pour opposer l’ascendant des instincts à celui de la raison, n’a besoin que d’un prétexte. Dans ce renouvellement de leurs flottes, les deux nations ont voulu, comme toujours, se gagner de vitesse. Aux temps où nous vivons, il n’y a pas de secret bien gardé, même pour les états qui s’appuient sur le silence. De part et d’autre, on savait à quoi s’en tenir sur le mouvement des arsenaux et sur le degré d’activité qui y règne ; on n’ignorait rien non plus des expériences faites dans divers sens, soit pour