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enchaîné leur action. Un jour de plus, et elles entraient dans les lagunes qui entourent Venise pour prendre les forts à revers, pénétraient dans les fleuves de la Haute-Italie, dont les berges s’élèvent au-dessus de la plaine, et avec leurs canons à pivot commandaient la campagne à plusieurs lieues à la ronde. Sur le lac de Garde, elles offraient un spectacle plus singulier encore, — celui d’une flottille venue par la voie de terre avec son amiral, montée en quelques jours sur les lieux, passant pour ainsi dire des wagons sur les eaux, et prête à ouvrir son feu contre une forteresse intérieure au moment où l’armistice a mis fin aux hostilités. On comprend quel a dû être le désappointement de la marine de se voir lier les mains si bien préparées au combat, d’être forcée de s’abstenir quand son rôle commençait, de renoncer à une victoire qu’elle regardait comme assurée, de rentrer au port sans avoir brûlé une amorce, de n’avoir pas une ligne dans les pages que nos armées venaient d’ajouter à notre histoire militaire. Cette fois encore on peut dire qu’elle n’a pas joué de bonheur.

Quand on songe aux services qu’une pareille escadre pouvait rendre, il est permis d’exprimer un sentiment de regret. Peut-être lui eût-il été donné, par une diversion pleine d’éclat, de peser dans la balance des événemens. Tous les élémens appropriés s’y trouvaient, six vaisseaux et deux frégates à hélice, quatre frégates à roues et ces flottilles de canonnières et de batteries flottantes destinées à essuyer et à éteindre les feux des ouvrages ennemis. Sur le lac de Garde, Peschiera eût difficilement tenu contre leurs attaques, combinées avec celles des troupes de siège. Dans l’Adriatique, les succès n’étaient pas moins bien préparés. Déjà les vaisseaux du blocus avaient rendu l’investissement de Venise de plus en plus étroit ; le reste de l’escadre était en marche et allait commencer les opérations offensives. Aucun détail n’avait été négligé pour en rendre l’effet à la fois prompt et décisif. Dans la courte relâche faite à Lossini, les batteries flottantes avaient reçu le complément de leur artillerie ; on les avait en outre dégréées et démâtées, ainsi que les canonnières, afin de les rendre moins vulnérables. Quelques tirs d’exercice avaient formé la main des équipages, des essais répétés avaient prouvé l’énergie des pétards sous-marins destinés à briser les estacades qui fermaient les ports de Chioggia, de Malamocco et du Lido. Trois mille soldats d’infanterie, empruntés à notre armée d’Afrique et répartis sur les vaisseaux, devaient concourir au débarquement et enlever les forts, que nos canons auraient réduits à l’impuissance. Des trabaccoli, espèces de barques pontées capturées sur les marines locales, avaient reçu des mortiers de 32 centimètres dont on attendait de bons résultats ; des transports