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chicorée, toujours dans la vue de rendre plus foncée la teinte de l’infusion. Sous l’influence de toutes ces causes d’altérations, entre le grossier breuvage ainsi préparé et celui que procure la chicorée seule, la différence n’était plus très grande, et dès lors on a été peu à peu conduit à substituer complètement à la boisson dont les qualités stimulantes, la saveur exquise et le délicieux parfum formaient les remarquables attributs, l’infusion de la chicorée, dépourvue de tous ces avantages, acre et nauséabonde lorsqu’on la prend sans y ajouter du lait, dont l’odeur douce et légèrement balsamique fait seule tolérer ce mélange. On a pu, il est vrai, reconnaître à l’infusion de la chicorée une odeur sensible de caramel due à la présence d’une matière sucrée dans la racine soumise à la torréfaction ; mais cet arôme particulier, qu’un assez grand nombre de personnes trouvent agréable, est facile à obtenir plus pur et plus doux en ajoutant à l’infusion du café normal quelques gouttes de caramel préparé avec du sucre de canne. Telle a été l’origine de l’industrie, maintenant assez importante, qui livre au commerce le produit désigné sous le nom de café de Chartres. Cette préparation spéciale, qui consiste à projeter du sucre, dans une juste mesure, au moment où la torréfaction des grains commence à développer l’arome du café, aurait l’avantage de donner satisfaction au plus grand nombre des consommateurs en augmentant l’intensité de la couleur. Ce pourrait être en définitive une amélioration réelle, en ce sens que l’on parviendrait peut-être à supprimer ainsi l’emploi des diverses substances étrangères d’une salubrité douteuse, qui n’ont guère d’autre avantage apparent qu’une coloration plus intense de l’infusion du café.

La substitution de la chicorée au café présente-t-elle du moins quelque utilité à l’agriculture métropolitaine ? Il n’en est rien. En effet, la culture en grand de la chicorée sauvage exige des fumures doubles de celles qui suffisent à la plupart des récoltes sarclées, sinon elle épuise le sol et ne donne guère en tout cas plus de bénéfice net que la culture du trèfle. D’ailleurs, au lieu délaisser comme celle-ci dans la terre un engrais équivalent aux racines qui s’y sont développées à ses dépens, elle les emporte nécessairement à l’époque de la récolte, qui en exige l’arrachage. Le plus grand nombre de nos habiles agriculteurs du Nord ne s’y sont pas trompés : loin de disputer aux Belges et aux Allemands notre marché intérieur en profitant des cours qui s’élèvent nécessairement en raison des droits de 6 pour 100 au moins de la valeur (3 fr. par 100 kilos de racines sèches), ils ont peu à peu abandonné à l’importation étrangère un débouché qui puisait dans ces importations, en moyenne décennale, chaque année : 90,384 kilos de 1827 à 1836,