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pas moins juste et il était plus utile de soutenir que toutes les croyances, toutes celles du moins qui aspiraient à se former en congrégations, et qui avaient besoin pour leur culte de la tolérance de la loi, étaient ou pouvaient être chrétiennes. Quelle était donc alors l’essence du christianisme, si elle n’était exclusivement dans le credo d’aucune église ? L’application de la raison à l’Écriture pouvait seule en dégager les vérités fondamentales. Or si le christianisme selon la raison se trouvait ainsi être le christianisme essentiel, il s’ensuivait que le christianisme en lui-même était raisonnable, et une recherche entreprise pour l’établissement de la liberté religieuse devenait ainsi une excellente apologie de la religion chrétienne. Telle est en effet l’idée, tel est le sujet d’un des principaux ouvrages de Locke[1]. Aussi ses critiques orthodoxes ont-ils pu lui reprocher de réduire le dogme, mais non de l’ébranler. On peut trouver qu’il n’a pas compris dans sa défense toute la religion, mais non qu’il n’ait pas défendu la religion ; et ses apologistes, non moins croyans, plus éclairés, ont célébré avec reconnaissance le secours puissant que le plus indépendant des philosophes était venu apporter à la cause de l’Évangile.

D’ailleurs une pensée particulière, et qui a joué un grand rôle dans l’histoire intellectuelle et religieuse de l’Angleterre, quoiqu’elle ait été rarement professée aussi distinctement qu’elle a été conçue, guidait Locke dans sa nouvelle entreprise. S’il était chrétien, comme je le crois, il était chrétien unitairien. En déterminant les élémens essentiels du christianisme, c’est-à-dire ce que tout le monde en devait au moins croire, il comptait bien établir comme nécessaire seulement ce qu’il en croyait. Il développait donc et propageait sa propre foi en défendant les droits de tous, et effectivement la proposition fondamentale de son livre est qu’il suffit, pour être chrétien, de tenir Jésus-Christ pour le Messie.

Que Locke fût, en tant que chrétien, attaché à la doctrine de Falkland et de Milton, de Somers et de Newton, à la doctrine qui, pendant près d’un siècle, inspira tant d’esprits supérieurs en Angleterre, c’est, à défaut de son ouvrage, ce que prouverait, je pense, son recueil d’Adversaria. Sous ce titre, qui ressemble au Sic et Non des scolastiques, il recueillait le pour et le contre, soit en philosophie, soit en théologie. On ne peut lire dans ce recueil les articles Trinitas et Christus, ou, dans son Common place Book, Unitaria ou Trinity, sans être convaincu que Locke est un des promoteurs de l’arianisme moderne.

Il était impossible de s’exprimer avec une telle liberté sur le

  1. The Reasonableness of Christianity as delivered in the Scriptures, 1695.