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venger, disait-il ; moi, j’ai lavé avec le sang français la poussière dont votre prison avait souillé mes filles. » Un peloton d’infanterie l’attendait sur le terrain fatal. Il prit la place qu’on lui indiqua, et, refusant de se laisser bander les yeux, il promena un moment ses regards sur les massifs d’Avao, sa chère vallée ; puis, les reportant sur nos soldats, appuyé sur son bâton de chef, l’éventail levé comme au temps où il donnait le signal des comumus, il roula frappé de dix balles. Pakoko réunissait à un caractère irritable l’énergie persévérante de la résolution. Complètement négligé depuis le départ du commandant Collet, il restait abandonné à ses inspirations mauvaises. Si on se l’était attaché en flattant son orgueil, en lui faisant partager la considération et les présens accordés à Te-Moana, non-seulement on n’aurait point eu à déplorer le meurtre de six de nos compatriotes, mais avec lui on eût gagné le parti national du pays, dont il était le sérieux, le violent coryphée, et par là même la colonie se fût créé d’utiles auxiliaires.

Les événemens que je viens de raconter avaient refroidi nos rapports avec les peuplades voisines. Voyant se prolonger cet état de défiance, le commandant français convia l’île entière à un grand koïka. Cette réunion eut de bons résultats ; les tribus renouèrent des relations avec l’établissement. Peut-être ne furent-elles pas marquées au cachet de la confiance la plus entière, mais du moins la concorde régna jusqu’en 1852, car il est inutile de noter un mouvement de peu d’importance où, dans une de ces folles querelles qui éclatent à l’improviste entre peuplades rivales, nous fûmes forcés de prendre parti pour nos alliés. En 1852, ce fut contre la tribu de Te-Moana elle-même qu’il fallut agir ; mais les indigènes, commençant à tirer bénéfice de leur contact avec les Français, vinrent fort spirituellement cette fois se placer derrière nos canons. Enfin le 22 août 1857, des guerriers vaïs ayant tenté d’enlever sur le territoire de la mission française deux jeunes filles pour les sacrifier aux dieux, la compagnie de débarquement d’une de nos frégates remonta la vallée des Vais, donnant la chasse à cette peuplade, et ne laissant que des ruines sur son passage. Ces dernières expéditions heureusement ne furent pas meurtrières, mais elles servirent à convaincre les indigènes de notre persistante activité à réprimer leurs incartades.

L’occupation de Taïti en 1844[1] avait considérablement amoin-

  1. Quelques mois après la prise de possession des Marquises, l’amiral Dupetit-Thouars, passant à Taïti, exigea de la reine Pomaré une somme de 10,000 piastres fortes en réparation de différens griefs dont nos nationaux avaient à se plaindre. Le conseil de la reine, trouvant cette contribution par trop onéreuse, chercha un autre moyen de conjurer les hostilités menaçantes. On offrit à M. Dupetit-Thouars, stipulant pour la France, le protectorat des îles de la Société. C’était une occasion de secouer le joug des missionnaires anglais. L’offre était avantageuse et honorable : l’amiral l’accepta, écartela d’un yack tricolore le pavillon taïtien, et institua un commissaire royal près du gouvernement indigène. Un an plus tard, les menées du missionnaire Pritchard ayant créé des embarras au petit personnel de la commission française, l’amiral y mit ordre en prenant définitivement possession des îles de la Société. On sait quelle émotion souleva en France cette mesure, et à quel point elle engagea le ministère de M. Guizot. Après d’orageux débats parlementaires qui aboutirent à un désaveu de l’acte accompli par l’amiral, on rétablit les choses dans l’état primitif, et le protectorat consenti fut simplement maintenu. Depuis cette époque, Taïti est resté le siège du gouvernement de nos possessions océaniennes.