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tement accusée. Bien qu’on puisse approcher le hupe, la nature sauvage des lieux où il se cache, et d’où il ne sort guère que pour prendre ses repas sur les plantes saxifrages voisines, en rend la capture très difficile. En général, le hupe de Nukahiva hante les ouvertures supérieures de la muraille basaltique de 600 mètres qui surplombe la vallée des Taïoas, et aussi les autres escarpemens de la côte occidentale de l’île. Là surtout croît aux fentes des falaises la baie parfumée dont l’oiseau se nourrit, et qui donne à sa chair blanche une saveur exquise. Bardé de feuilles de ti et rôti sur les pierres rouges, à la mode du pays, ce gibier a été déclaré infiniment supérieur au faisan par nos gourmets émérites. La pêche est aux Marquises beaucoup plus productive que la chasse ; mais toutes les baies ne sont pas également favorisées, et à certaines époques le poisson est fort rare à Vaïtahu comme à Taiohaë.

Un des derniers commandans du poste de Nukahiva[1] publiait récemment des notes qui montrent combien peu d’action civilisatrice a exercé, même sur les habitans de Taiohaë, la présence des missionnaires et d’une garnison française depuis plus de douze ans. Des observations de cet officier, il ressort clairement que la somme de leurs défauts et de leurs vices s’est accrue sans compensation notable. On leur a créé des besoins, sans avoir pu leur donner encore l’habileté et les moyens de les satisfaire. La source de leurs revenus est toujours la même ; seulement, devenus avides et intéressés, ils entendent mieux aujourd’hui le trafic des produits du sol et du corps de leurs femmes. Dans deux ou trois endroits fréquentés, les naturels, si fiers, si élégans alors qu’ils étaient nus, portent quelques pièces disparates de nos costumes, qui, tombant vite en loques, témoignent d’une misère dont le spectacle n’avait jamais offusqué nos regards. À Taiohaë, les femmes surtout ont substitué au manteau de tapa, si pittoresque et si souvent renouvelé, des peignoirs d’indienne et de mousseline, qui, bientôt imprégnés d’huile, souillés de terre, déchirés par les broussailles, les font ressembler aux mendiantes les plus sordides, les plus déguenillées. Les couronnes de fleurs et même les éventails, ces frêles et élégans abris, menacent d’être détrônés par le hideux parapluie de coton, comme à Taïti. Tels étaient, avec quelques règlemens de police en vigueur dans l’unique baie de Taiohaë, réduite au tiers de sa population depuis 1843, les résultats visibles de la civilisation en 1858. Pas plus aujourd’hui qu’alors, les naturels ne sentent la nécessité d’arroser de leurs sueurs une terre assez généreuse pour

  1. M. Jouan, lieutenant de vaisseau, Revue coloniale, 1857-1858. Ce travail, conçu à un point de vue spécial, contient d’utiles renseignemens sur l’archipel des Marquises.