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tendit plus rarement encore, car la nature, pour me servir de l’expression d’un illustre poète, « s’égale, mais ne se répète pas. » Et avec cela la grâce et la distinction de la personne, des yeux qui répandaient plus de lueurs qu’il n’y en a dans l’aube ou dans les étoiles d’un ciel d’Orient, un front où rayonnait l’intelligence, une jeune tête entourée de plus d’espérances qu’il n’y a de fleurs et de bourgeons aux branches d’arbre par une belle nuit de mai! Aussi quels engouemens et quels triomphes! Et dans ces éloges dont on la comblait, dans cet enthousiasme des artistes et du public, quelle réserve délicate, quelle respectueuse émotion, comme si l’on eût craint, par de trop bruyans hommages rendus à la cantatrice, de profaner la pureté de la jeune fille! Les maîtres eux-mêmes se conformaient à ce sentiment qu’impose l’honnêteté, et Meyerbeer s’efforçait d’atténuer à son intention certains traits trop hardis du caractère de Valentine. On ne sait malheureusement plus assez quels ressorts inouïs la voix emprunte à certaines conditions spéciales, on ignore que les vestales de l’art y sont les vraies reines. Là fut le secret de la toute-puissante influence exercée à diverses périodes et par Mlle Falcon et par Jenny Lind.

Ainsi marchaient les répétitions, ainsi se délectait dans les prémices de son œuvre cet esprit éminent et convaincu, ce cœur chaleureux dont l’art fait battre chaque fibre. De jour en jour, les beautés ressortaient davantage, et de cette gigantesque masse d’harmonie dont il avait fallu d’abord, et non sans de rudes efforts, sonder la profondeur, se dégageaient, comme d’une toile de Rembrandt, des cataractes de lumière. Les chœurs et l’orchestre, toujours indécis vers le début et volontiers enclins à médire de ce qu’ils ignorent, remplissaient la ville du bruit de leur admiration. Quant aux chanteurs, ils sentaient d’avance ce que cette musique allait faire pour leur gloire : c’était assez pour s’y dévouer corps et âme, même en dehors de la simple question du beau.

Les Huguenots furent représentés au mois de mars 1836. Après s’être mû, avec Robert le Diable, dans les régions du fantastique, Meyerbeer touchait ici le domaine de l’histoire. C’est surtout vers le milieu de l’ouvrage que le grand peintre se manifeste. Les trois premiers actes marchent lentement, la pièce va d’un train pénible et embarrassé, et ce n’est que par la grâce infinie des détails que le musicien vous intéresse. Il faut voir avec quelle variété luxuriante les arabesques s’enroulent, avec quelle aimable mollesse, quelle flexible distinction ces lignes mélodieuses s’allongent et se contournent! Vrai kaléidoscope musical où, dans un contraste qui n’exclut point la symétrie, les formes et les couleurs se succèdent rapidement. Chacun de ces actes, pour la magie des arabesques, me re-