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aigu insupportable. Je la cherchai des yeux ; mais elle n’était déjà plus qu’un petit nuage, et s’éleva lentement vers le soleil, qui étendit vers elle de longs rayons dorés. Bientôt ces rayons l’enveloppèrent, et elle s’évapora, tandis que moi, je criais à pleine gorge, comme un furieux : « Ce n’est pas le soleil, ce n’est pas le soleil, c’est une araignée italienne ! Qui donc lui a donné un passeport pour la Russie ? Je la dénoncerai. Je l’ai vue voler des oranges dans un jardin. »

Dans un autre rêve, il me sembla que je traversais en toute hâte un sentier étroit et escarpé. Je ne sais quel bonheur inespéré m’attendait. Tout à coup un énorme rocher se dressa devant moi. Je cherchai un passage, je n’en trouvai ni à droite ni à gauche. Au même instant une voix se fit entendre derrière le rocher : Passa que’i colli… Cette voix m’attirait, elle renouvelait son appel. Je me débattais péniblement, je cherchais au moins la plus petite issue. Hélas ! partout un mur de granit perpendiculaire ! — Passa que’i colli, répétait mélancoliquement la voix. Désespéré, je me jetai la poitrine contre la pierre noire, et, dans mon impuissance, je l’égratignai de mes ongles. Un sombre passage s’ouvrit tout à coup ; j’allais m’élancer. — Drôle ! me cria quelqu’un, tu ne passeras pas ! — Je regardai : Lucavitch était devant moi ; il me menaçait et agitait ses bras. Je fouillai précipitamment dans mes poches,… je voulais le gagner : mes poches étaient vides. — Lucavitch, lui dis-je, laisse-moi passer, je te récompenserai plus tard. — Vous vous trompez, señor, me répondit Lucavitch, et son visage prit une expression singulière ; je ne suis pas un domestique serf ; reconnaissez en moi don Quichotte de la Manche, chevalier errant bien connu. Toute ma vie j’ai cherché ma Dulcinée, mais je ne puis la trouver, je ne souffrirai pas que vous trouviez la vôtre. — Passa que’i colli, — répétait de nouveau une voix qui sanglotait. — Faites place, señor, criai-je avec fureur et tout prêt à me jeter sur lui ;… mais la longue lance du chevalier m’atteignait droit au cœur… Je tombai blessé à mort… J’étais étendu sur le dos, je ne pouvais faire aucun mouvement, lorsqu’elle entra une lampe à la main. Elle la leva gracieusement au-dessus de sa tête, regarda autour d’elle dans l’obscurité, et, s’approchant avec précaution, se pencha sur moi : — C’est donc lui, cet insensé ! dit-elle avec un rire méprisant. Voilà celui qui veut savoir qui je suis ! — Et l’huile brûlante de sa lampe tomba juste sur la plaie de mon cœur. — Psyché ! m’écriai-je avec effort… Et je me réveillai.

Je passai toute la nuit dans ces rêves étranges. Le lendemain, j’étais levé avant l’aube. M’étant promptement habillé, je pris mon fusil et me dirigeai vers l’habitation. Mon impatience était si grande que l’aube blanchissait à peine lorsque j’y arrivai. Les alouettes