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Cette sévère et charmante étude, M. Alfred Tonnelle la poursuivait tantôt dans les voyages, tantôt au milieu de sa famille, en Touraine, loin du monde et du tourbillon de Paris. Assurément, dans sa position, dans sa fortune, dans sa vie, tout concourait à exprimer l’idée de la sécurité et de la confiance, si ce n’est du bonheur. Et pourtant il avait, lui aussi, sa tristesse, non cette tristesse maladive et vulgaire qui se nourrit de vanité, qui se consume dans la plainte stérile et qui fut autrefois une contagion, mais cette mélancolie plus saine qui est le tourment des âmes délicates, et dont le fond est, comme il le dit lui-même, « la fuite du temps, le regret du passé, les aspirations vers un avenir meilleur, l’amour, la jeunesse. » Ce jeune homme, aimé des siens, entouré de tous les biens, convié à l’avenir, a parfois, comme dans un éclair, les visions de la mort. On dirait qu’il se sent pour peu de temps en ce monde. « On passe toute la vie à se préparer à vivre, dit-il; on veut se faire un établissement parfait, on s’arrange une demeure : encore ceci, et il n’y manquera plus rien. Il semble que chaque jour les apprêts en vont être terminés, que c’est demain qu’on y entrera, et la mort arrive avant qu’on se soit installé dans la vie. » Un jour, répondant à un de ses amis qui vient de lui annoncer la naissance d’un premier enfant, il lui écrit : « Hier encore nous voyions tout au-dessus de nous, et déjà voici poindre une génération nouvelle qui va nous regarder à notre tour comme nous regardions autrui... Singulier moment! ne trouves-tu pas? Peut-être moins que moi qui ne suis presque que spectateur; mais je t’assure que cela me surprend de penser que c’est bien à toi que je parle de ton fils, que nous commençons à prendre la place où nous avions coutume de regarder et de rencontrer nos pères, et que d’autres viennent se placer à ce premier rang où il semblait que nous dussions rester toujours. Sérieux moment aussi, et qui nous fait voir les bornes de cette vie si près de nous des deux côtés ! Ces petits seront bien vite ce que nous sommes à présent, et nous, que serons-nous alors? Vraiment c’est bien peu de chose que ce passage... » Les pensées de M. Alfred Tonnelle sur la nature ont de même je ne sais quelle grâce mélancolique et mystérieuse. « O tranquillité! dit-il dans un fragment; ô douceur insinuante et triste, ô calme de la lumière, du ciel, de l’atmosphère d’automne! A chaque instant, sans vent, sans bruit, des feuilles se détachent et tombent légères sur le flot qui les emporte. Le soleil descend et baigne les touffes d’arbres d’une lumière de plus en plus dorée et riche. Pas un mouvement dans l’eau ni un bruit sur la terre! L’homme est le seul être animé, bruyant, dans la nature mourante; quand il se tait, tout se tait recueilli autour de lui. Il n’y a pas de saison, il n’y a pas de printemps tout gonflé de sève et d’espérances nouvelles, tout