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des tableaux de Claude! Comme il avait admirablement senti la beauté de ces scènes, de ce mouvement des ports du midi, au milieu de cette atmosphère pure, l’éclat, la poésie ineffable répandue sur toute cette activité, le charme de ce mouvement qui met en jeu et fait valoir encore l’eau et la lumière, et comme il a fixé tout cela! »

Je n’ajouterai plus qu’une note de ce dernier voyage dans les Pyrénées françaises et espagnoles.

« Je m’attarde, écrit-il un jour, et m’assieds seul un quart d’heure au bas du sommet, au-dessus du val d’Aran, que couronnent encore les monts de Catalogne. Lumière chaude et vaporeuse du midi ! Il faut un peu de solitude et de recueillement pour se pénétrer du sentiment d’élévation et de paix sublime qu’inspirent ces hauteurs. On ne voit plus que des sommets purs nageant dans l’éther et tendant en haut pour s’y perdre dans la sérénité et la tranquillité; les bas lieux de la terre ont disparu et sont oubliés. Jouissent toutes les basses pensées, tous les soins vulgaires, tout ce qui rattache et rabat notre vol vers l’udam humum disparaître avec eux! Mais combien, et des meilleurs, les font monter avec eux jusqu’à ces hautes régions! Combien de souillures, de vils désirs ou de mesquines préoccupations d’âmes émoussées ont été promenées sans respect sur ces temples sereins! Ils n’en gardent pas la trace. Les souillures des hommes s’y fondent et s’y effacent plus vite que leur neige au soleil, et ils demeurent éternellement purs et frais, source éternelle de fraîcheur et de pureté à l’âme qui sait s’y isoler et s’y asseoir. »

Lorsque le jeune voyageur s’enivrait ainsi de la sérénité des hautes montagnes et de la lumière du midi, lorsqu’il gravissait les cimes neigeuses de la Maladetta et de la Forcanade, il n’avait plus que peu de temps à vivre; ses jours étaient comptés. Dans cette excursion même, M. Alfred Tonnelle se sentit pris du premier accès de la fièvre qui allait l’emporter. Pressé de voir encore, il résistait, il prolongeait son voyage dans le midi de la France. Plein de jeunesse, confiant dans sa force, il voulut vaincre le mal, il fut lui-même vaincu. La maladie lui laissa à peine le temps de rentrer dans sa famille, à Tours, et au premier moment de repos elle éclata dans sa foudroyante intensité. Le 14 septembre 1858, M. Alfred Tonnelle était encore à Vaucluse, évoquant la mémoire de Pétrarque, et le 14 octobre il était mort; ce qui reste de lui, c’est ce volume inachevé comme sa carrière, plein de choses diverses comme son esprit. Ce n’est pas un livre, ce n’est pas un ouvrage, c’est un ensemble de pages éclairées de cette lumière triste que laisse une âme en s’envolant. Si je ne me trompe, ces pages révèlent un penseur sévère et doux, entraîné vers toutes les choses élevées, doué d’un instinct