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promener ses chevaux, planter ses tentes au milieu du silence. On sera donc conduit un jour ou l’autre à un large emploi de la cavalerie irrégulière dans les armées françaises. Sans insister sur l’opportunité d’une telle cavalerie, qui n’est plus discutable, je crois utile, en terminant ce récit, de rappeler combien la formation de corps irréguliers réclame de sollicitude et de prévoyance. Il suffit de quelques précautions négligées et de circonstances défavorables pour faire avorter une expérience digne du plus haut intérêt.

Puisque nous en sommes sur ces considérations, il faut dire encore une grosse vérité, et il n’y aura pas une voix dans la cavalerie pour me contredire. Le recrutement de notre cavalerie est mauvais. Quels hommes prend-on pour faire des cavaliers? — Des tanneurs, des cordonniers, des gens de tous les états, qui n’ont jamais, comme on le dit, touché un cheval. Une telle méthode d’opérer est vicieuse. Le premier empire procédait-il ainsi? Non, certes. Ses hussards, où les prenait-il? C’étaient presque tous des Alsaciens, D’où sortaient ces cuirassiers, la terreur des plaines d’Eylau, de la Moskowa et même de Waterloo? De Normandie, des pays enfin où on élève les chevaux et où on les aime. On s’est tant occupé de l’infanterie, que pour lui donner une spécialité on a créé les chasseurs à pied. On se garde bien de prendre le premier venu : ce sont les chasseurs, les braconniers, les montagnards, qui servent à la composition de ce corps. Pourquoi n’en fait-on pas autant pour la cavalerie? N’est-ce donc pas aussi une spécialité dans l’armée[1] ?

De glorieux souvenirs recommandent l’arme des Lasalle et des Montbrun à l’attention de la France. La race est-elle perdue de ces grands conducteurs de cavalerie? Nous ne le pensons pas. Il y a seulement pour la réveiller d’utiles tentatives à poursuivre, et la création bien dirigée d’une cavalerie irrégulière doit compter au nombre de celles-là. L’histoire des bachi-bozouks a montré les écueils à éviter; mais si la cavalerie irrégulière a eu ses mauvais jours, elle compte aussi dans ses annales des pages meilleures qui indiquent la marche à suivre.


Vicomte DE NOE.

  1. L’âge où commence l’éducation du cavalier soulève une autre question que je ne fais qu’indiquer. Pourquoi les Arabes sont-ils de si hardis et de si brillans cavaliers? A quatre ans, vous les voyez courir sur des chevaux sans bride, et quand vous voulez former des officiers de cavalerie en France, vous leur faites apprendre à monter à cheval à Saint-Cyr, quand déjà les os commencent à se souder. C’est à La Flèche qu’il faudrait envoyer les chevaux, et, s’il y a là des enfans de six ans, faites-les monter à cheval ; alors vous verrez arriver dans vos régimens de véritables officiers de cavalerie.