Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/815

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

murs que, vingt-quatre ans plus tard, le maréchal Brune fut assassiné par la populace? Ces horribles souvenirs, qui s’évoquaient d’eux-mêmes, étaient bien faits pour exalter les têtes en sens contraire et terrifier les gens de bien. M. Roumanille se jeta dans la mêlée avec les armes qu’il venait de se forger si à propos. En face des orateurs de la république rouge, on vit paraître le défenseur des vieilles mœurs et des traditions saintes. Cette fois nulle déclamation chez lui; il alla droit à l’ennemi avec une verve toute provençale. Sa gaieté, une gaieté hardie, communicative, éclatait tout à coup au milieu des divagations révolutionnaires. Tous ses petits pamphlets, li Clubs, li Partejaire, li Capelan, la Ferigoulo, sont des chefs-d’œuvre d’entrain et de bon sens. C’étaient des comédies inspirées par le spectacle de la rue, des scènes à la façon d’Aristophane. Et que tout cela était bien dit dans une langue qui sentait le terroir! Quels types! quels dialogues! le bon rire sonore et franc, tempéré toujours par la grâce de la charité! On riait, on riait,... on rit encore, tant il y avait là de vérités que les événemens ont mises en pleine lumière, tant il y avait de finesse, de prévoyance libérale dans cette guerre à une démocratie prétentieuse et servile !

La lutte finie, M. Roumanille revint à sa prédication poétique. La forme seule était changée, le fond demeurait le même. Qu’il écrivît en prose ou en vers, il avait toujours en vue l’éducation morale du peuple. C’était pour l’arracher à l’influence des démagogues qu’il écrivait ses petits pamphlets en 1848; ce sera pour l’arracher au cabaret, pour lui enseigner la douceur du travail, la vertu de la prière, qu’il lui contera tant de naïves histoires dans un style si joyeux et si vif. Cette littérature populaire commençait à faire du bruit dans la contrée; pendant que M. Roumanille poursuivait son œuvre, des disciples venaient se ranger autour de lui. Quelle surprise et quelle joie pour une foule d’esprits de voir reverdir ainsi la vieille langue! Dans ce jardin si bien cultivé, chacun voulait cueillir une fleur. Quiconque avait une bonne pensée, un sentiment poétique, était heureux de l’exprimer dans l’idiome du pays. Celui-ci était grave, celui-là joyeux; un autre avait le don des images, un autre encore était nourri de la lecture des grands poètes et sentait naître en lui l’ambition de les imiter un jour. A ces intelligences si diverses, la renaissance de la poésie provençale offrait des excitations bien naturelles. Aussitôt chanteurs d’arriver; il y en eut un d’abord, puis deux, puis trois, puis ce fut une volée tout entière... Avez-vous vu les farandoles dans nos villages du midi? A de certains jours de fête, si une émotion unanime vient à saisir les esprits, il suffit d’un chef, d’un mot, d’un signal : tout à coup les mains cherchent les mains, une ronde se forme, elle s’étend, elle déroule ses anneaux,