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des lois ordinaires de la politique, d’avoir mis sa liberté dans la révolution sociale, et non dans la forme vide d’une souveraineté indépendante, par cette raison que « l’indépendance nationale aurait anéanti la suprématie italienne. » Paroles regrettables, si elles pouvaient servir à perpétuer une illusion dangereuse, à faire croire aux esprits exaltés que l’Italie va tout à coup, à un jour donné, par l’effet d’un de ces cataclysmes qui font surgir des volcans du sol entr’ouvert, se retrouver toute-puissante au sommet des nations! Les vertus héroïques, les grands caractères que l’Italie a produits, qu’elle peut produire encore, lui donnent assurément des titres à l’admiration, mais ne lui constituent pas des droits à cette suprématie prétendue. Aujourd’hui d’ailleurs, ce qui est nécessaire à l’Italie, n’est-ce pas plutôt la pratique bourgeoise des vertus quotidiennes, une expérience assidue qui lui inspire un retour vrai sur son passé, sur sa situation récente, sur les chances désormais possibles d’un avenir meilleur? Il y a quelque chose de plus urgent que de rappeler sans cesse à l’Italie qu’elle a été la reine du monde, c’est de l’encourager à se gouverner d’abord elle-même, à être maîtresse de ses destinées en restant calme, patiente, unie, à développer enfin dans son sein des institutions qui soient en rapport avec la vie moderne des sociétés.

On connaît le mot superbe des sénateurs de Rome à Frédéric Barberousse : « Tu étais étranger, et nous t’avons fait citoyen. » Toute l’histoire de la monarchie impériale, ou, si l’on veut, de la monarchie romaine, est dans ce mot. De même que l’équilibre harmonieux du sacerdoce et de l’empire, inventé pour réaliser le plan de la divine Providence, était une vaine théorie sans cesse démentie par les faits, de même l’absorption par l’esprit romain d’un empire purement allemand était la plus chimérique des conceptions politiques. Il arriva que cette idée de la monarchie impériale appliquée à l’Italie se développa dans le sens d’une perpétuelle équivoque, l’Italie gibeline se rattachant à cette idée pour la confisquer à son profit, dans le vain espoir de redevenir le centre et le siège de l’empire restauré, l’Allemagne ne voyant dans le droit impérial, tel que l’entendaient ses légistes, qu’un moyen de conquérir et d’asservir l’Italie. L’Italie invoquait le souverain de l’Allemagne non comme Allemand, mais comme chef de l’empire romain, et le souverain de l’Allemagne considérait l’Italie non pas comme un état distinct où il exerçât l’hégémonie, mais simplement comme un fief soumis envers lui à tous les devoirs, à tous les services de la vassalité.

Par une de ces fictions que la simplicité populaire accepte volontiers, l’Italie du moyen âge dégagea longtemps la personnalité de l’empereur de la responsabilité de ses ministres, et fit abstraction