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fleurs et découpés à l’anglaise serpentaient sur le flanc du coteau ; les eaux courantes, éparses sur la montagne, venaient jaillir dans un ruisseau artificiel qui baignait le pied de la maison et arrosait largement les parterres. Tout cela était disposé avec une grande simplicité, mais avec un grand goût, et tout sentait cette large aisance qui touche à la richesse.

Pour la première fois de ma vie, je me sentis un peu humilié de ma pauvreté, à cause de l’intention qui m’amenait là. Je n’avais pas la vanité de croire qu’en apportant un titre en échange d’une fortune, je dusse être accueilli à bras ouverts. Si la jeune fille était charmante, il fallait, pour rétablir l’équilibre, que je fusse charmant moi-même, et, déjà mécontent de ma démarche, je m’en dégoûtai tout à fait au moment de franchir la grille de la cour d’honneur. J’allais donc tourner bride, lorsque je me trouvai en face de deux beaux enfans, une fillette de seize à dix-sept ans et un garçonnet de dix à douze, tous deux montés sur d’excellens poneys bretons, et suivis d’un gentleman fort propre, que je pris d’abord, dans mon trouble, pour un domestique, par la seule raison qu’il marchait derrière les jeunes gens.

C’était pourtant M. Butler partant pour la promenade avec sa fille Love et son fils Hope : Amour, Espérance, c’étaient les noms que sa fantaisie paternelle leur avait donnés.

Cette rencontre inattendue, au moment où je faisais un mouvement très gauche pour me retirer, acheva de me déconcerter. Les jeunes gens n’y virent qu’une intention de politesse, et se rangèrent pour me laisser passer, échange de courtoisie dont je ne profitai pas. Nous étions là, eux très étonnés, moi très incertain, laissant le passage libre sans que personne voulût le franchir, lorsque M. Butler arriva, et vint à ma rencontre avec une figure tranquille, ouverte et souriante.

C’était à moi de parler le premier, de me nommer ou de m’excuser en disant que je m’étais permis de vouloir regarder la façade du château, et je ne parlais pas, sentant que le premier parti m’engageait plus que je n’en avais envie, et que le second rompait grossièrement et sans retour toute relation avec d’honnêtes voisins dont ma mère avait reçu les avances. Mon hôte, trop bien élevé pour me questionner, ne disait mot, et ma situation devenait ridicule. Je jetai un regard effaré sur miss Love ; elle souriait sous son voile en regardant de côté son jeune frère, qui riait tout à fait sous cape.

Le dépit délia ma langue ; je me nommai, et j’expliquai qu’en voyant mes hôtes partir pour la promenade, j’aurais voulu différer ma visite et me retirer. M. Butler me tendit cordialement la main, me présenta ses deux enfans, et, pour ne pas m’embarrasser, m’en-