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ont donné une éclatante confirmation à ce que M. Boucher de Perthes soutient depuis plus de douze années. Auparavant l’Institut avait nommé une commission pour examiner les objets que le savant abbevillois a recueillis dans le diluvium et visiter les carrières d’Abbeville et du faubourg de Saint-Acheul à Amiens. Malheureusement cette commission se contenta de jeter les yeux sur les haches, elle ne fit pas creuser le sol. Ce que l’Institut avait négligé, un jeune naturaliste à qui l’on doit déjà d’excellens travaux, M. Albert Gaudry, l’a récemment exécuté. Pénétrant dans les carrières de Saint-Acheul, que surmonte une petite colline et qui sont à 33 mètres au-dessus du niveau de la Somme, il put facilement s’assurer, par la position normale des couches, que la main des hommes n’avait pas remanié le sol en ces lieux. Le terrain fut creusé par ses ordres sur 7 mètres de longueur. On abattit d’abord les bancs de limon et de conglomérat bruns, superposés au terrain dans lequel il s’agissait de fouiller. Ces bancs n’ont pas moins de 2 mètres de hauteur, et comme la terre à briques dont ces couches sont recouvertes présente une épaisseur de plus de 1 mètre, c’est de fait à une distance de plus de 3 mètres au-dessous du sol que M. Gaudry commença son exploration. On n’avait trouvé dans les couches supérieures ni haches, ni silex taillés : premier point à noter et qui est conforme aux observations antérieures ; mais quand on attaqua l’assise de diluvium blanc, épaisse de 3 mètres, et qui repose sur la craie, les haches apparurent ; M. Gaudry les recueillit lui-même dans un banc d’une nature caillouteuse, à un mètre au-dessous du niveau où commence la couche qui les renferme, et dans ce même banc se présentèrent sous la pioche des ouvriers les ossemens fossiles du bos priscus, espèce beaucoup plus grande que nos bœufs actuels. Dans un autre endroit du voisinage, à Saint-Roch, les haches furent trouvées associées aux ossemens de l’éléphant et du rhinocéros primitifs, dont il a été question tout à l’heure. En Angleterre, à Hoxne (Suffolk), on vient de sonder des terrains de même formation que ceux des environs d’Amiens et d’Abbeville : les mêmes ossemens fossiles, les mêmes silex taillés s’y sont trouvés renfermés.

Ainsi les doutes qu’élevaient la plupart des géologistes sur l’exactitude des observations du naturaliste abbevillois sont enfin levés. L’homme a laissé la preuve de son existence à une époque dont l’antiquité ne saurait encore être calculée, mais qui dépasse toutes les prévisions et contredit même les inductions historiques. Ces haches n’ont pu être transportées de loin, car leurs tranchans sont à peine émoussés ; elles dénotent un état bien primitif de la société humaine, un âge où notre espèce ignorait l’emploi des métaux. L’homme a donc habité l’Europe en même temps que les énormes pachydermes