Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle fit cette réponse avec une bonhomie candide, en se regardant à la glace et en rabattant sur son front, sans aucune coquetterie, ses cheveux ébouriffés, où pendillaient encore quelques brins de mousse.

— C’est un véritable enfant ! pensai-je en la regardant s’éplucher tranquillement, comme si elle ne pouvait pas supposer que je fisse attention à elle. Pourquoi ne la traiterais-je pas comme il convient à son âge et à l’innocence de ses pensées ? — J’eus envie de lui montrer le lichen que j’avais ramassé, et de lui demander en riant si elle voulait bien encore essayer de me faire peur ; mais je n’osai pas. Il y avait en elle je ne sais quoi de grave quand même, bien au-dessus de son âge, et aussi je ne sais quel charme émouvant qui m’empêchait de voir en elle autre chose qu’une femme adorable avec laquelle on ne peut pas jouer sans perdre la tête.

— Madame votre mère se porte bien ? dit-elle en prenant un métier à dentelle dont, en un instant, ses petits doigts firent claquer et sautiller les bobines avec une rapidité que l’œil ne pouvait suivre.

— Ma mère se porte bien pour une personne qui se porte toujours mal.

— Ah ! mon Dieu ! c’est vrai qu’elle paraît bien délicate ; mais vous l’aimez beaucoup, à ce que l’on dit, et vous la soignez bien ? Je ne l’ai vue qu’une fois. Elle a été très bonne pour mon frère et pour moi. Elle nous a montré tout le château, qui est bien curieux et bien intéressant. Si j’avais osé, je lui aurais demandé la permission de dessiner des détails qui intéressent mon père ; mais j’ai craint qu’elle ne nous prît pour des marchands de bric-à-brac.

— Si vous daigniez revenir, ma mère serait bien heureuse de vous voir prendre quelques momens de plaisir chez elle.

— Eh bien ! nous y retournerons sans doute quelque jour, et j’emporterai mes crayons.

— Il paraît que vous avez un grand talent ?

— Moi ? Oh ! pas du tout, par exemple ! Je n’ai été élevée qu’à faire des choses utiles, c’est-à-dire fort peu agréables.

— Pourtant vous faites de la dentelle, et vous paraissez très habile.

— Oui, comme une vraie paysanne. J’ai appris cela d’une de nos servantes : par là, je suis devenue la cent trente mille et unième ouvrière du département ; mais ce que je fais, c’est encore pour mon père, qui est curieux de toutes les antiquailles. J’exécute un ancien point du temps de Charles VII, dont nous avons retrouvé le dessin dans de vieilles paperasses. Voyez, c’est très curieux, n’est-ce pas ?