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ou s’asseyaient sur les poutres, dans la rue, pour deviser à leur aise. Il était une heure à peu près. Nous venions de prendre le repas de midi dans la cabane d’Aron. De loin, un bruit de voiture se fit entendre, et nous aperçûmes bientôt un char-à-bancs jaune attelé d’un petit cheval gris. La voiture s’arrêta devant la maison d’Aron, et le jeune homme qui la conduisait n’avait pas encore eu le temps d’en descendre, que les fils de mon hôte s’étaient élancés à sa rencontre. Le nouvel arrivant n’était autre que le fils de mon vieil ami Salomon, l’élégant Schémelé. Par une singulière coïncidence, à peine le jeune homme était-il entré dans la maison en fête et avait-il répondu aux cordiales félicitations de ses hôtes, qu’un autre personnage, également attendu à Hegenheim, se présenta. C’était un homme d’environ soixante-cinq ans. Il était coiffé d’une casquette de loutre, vêtu d’une redingote verte, portait culottes courtes et bottes à revers jaunes. Il était tout poudreux. — Eh bien ! s’écria-t-il dès qu’il vit Schémelé, qui s’époussetait encore, vous ne m’avez pas devancé de beaucoup ! — Le digne négociateur en mariages, Éphraïm Schwab, avait, lui aussi, été exact au rendez-vous.

Quelques heures après, une visite faite aux Nadel mettait en présence Débora et Schémelé. Le résultat de cette rencontre, on le devine. Une dépêche adressée au père Salomon le soir même lui annonça qu’on l’attendait pour la cérémonie des fiançailles, fixée au surlendemain. Je me gardai bien de quitter Hegenheim avant d’avoir assisté à cette cérémonie, qui fut célébrée avec cette scrupuleuse fidélité aux traditions qu’on retrouve dans tous, les villages israélites de l’Alsace.

Dès le matin, la grande Dina, le premier cordon-bleu de Hegenheim, avait pris possession de la cuisine des Nadel. Les cris des oies et des poules dont on allait faire un vrai massacre se mêlaient au tintement du mortier de cuivre, où l’on pilait force sucre et cannelle pour la pâtisserie. Des fumets délicieux s’exhalaient aux alentours de la maison, et, en sortant de la synagogue, les passans disaient : — Ça sent le knasmal (repas des fiançailles).

Dès six heures, la plus belle salle de la maison recevait les principaux invités. Ln tapis de perse recouvrait une table ronde placée au milieu de la pièce. Nadel, sa femme, le père Salomon et la bonne Iédelé, Aron et tous les siens étaient réunis. Schémelé et Débora, assis l’un près de l’autre, s’entretenaient presque à voix basse, se regardaient souvent avec une satisfaction réciproque sans rien dire, puis causaient encore. Éphraïm Schwab, allant et venant, présentait à tout le monde sa large tabatière. Bientôt arriva un flot de voisins et d’amis, suivi des personnages officiels dont la présence en pareil