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dans les miennes, en prenant part à sa douleur, en m’efforçant de la tranquilliser sur le compte de son père, en lui disant que l’amour filial faisait des miracles, et qu’elle ne devait pas douter de la Providence ; enfin je lui jurai de souscrire, si elle daignait m’agréer, à la condition qu’elle m’imposait.

VIII.

Dès lors j’avais fait un grand pas. — Tout ce que vous me dites là est bon, et me paraît sincère, répondit-elle, et je vous dirai franchement que depuis ce matin je suis résolue à me marier. C’est la première fois que j’en comprends la nécessité. Jusqu’à présent, je croyais qu’il valait mieux rester heureuse comme je l’étais que de courir des risques ; mais l’idée de perdre mon père et de me trouver, à l’âge où je suis, l’unique soutien de mon frère m’a fait peur. J’ai réfléchi tout en pleurant ; je crois que mon devoir est de chercher un appui pour nous deux, et même j’en ai senti le besoin. Ne me demandez rien de plus aujourd’hui. Je ne peux pas savoir si vous serez pour moi ce soutien-là. Vous vous offrez, c’est généreux, et je vous en remercie ; mais, comme vous avez aussi le devoir de soigner votre mère souffrante, j’ignore si je dois accepter. Permettez-moi d’y réfléchir et de vous connaître davantage. Revenez souvent, puisque mon père vous y autorise.

— C’est mon vœu le plus cher que de vous voir tous les jours ; mais, dans l’incertitude où vous êtes, ne craignez-vous pas ce que l’on pourra dire et penser de mes visites ?

— Pour moi,… cela m’est égal. Je n’y songe pas. Que voulez-vous qu’on dise ?

— Que vous m’avez donné des encouragemens.

— Eh bien ! Après ? Vous voyez, je vous en donne ; pas beaucoup, il est vrai, mais un peu, et quel mal y a-t-il, puisque tous deux nous sommes sincères ? Ah ! j’y songe : si je vous dis non après que vos visites auront fait connaître vos intentions aux personnes de votre monde et dans notre voisinage, votre amour-propre souffrira. Que voulez-vous que je vous dise ? Alors ne pensez plus à moi et ne revenez pas.

— Vous en parlez à votre aise, vous à qui cela serait parfaitement égal ?

— Je ne dis pas cela. Je penserai peut-être que j’ai passé à côté de mon bonheur ; cependant, comme je n’en serai pas absolument sûre, j’aimerai mieux cela que de vous avoir trompé en vous donnant des espérances à la légère.

Le bon sens de miss Love en toutes choses était sans réplique,