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chercher sa sûreté dans quelque extension de territoire, que pourrait objecter l’Angleterre ? Elle ne pourrait invoquer que son intérêt, et son intérêt serait ici opposé à la sécurité des mers. C’est ce qui explique l’attitude à la fois méfiante et expectante de l’Angleterre, qui, sans pouvoir mettre en interdit le droit de l’Espagne, ne peut cependant être absolument contente, et c’est ce qui donne aussi un certain caractère de hardiesse à la résolution du cabinet de Madrid, qui n’est point assurément sans avoir reçu de pressans conseils de modération. Il s’ensuit que cette affaire du Maroc, qui n’est rien, si elle reste une simple correction infligée à des barbares, peut aussi devenir une affaire européenne selon le degré de garanties que l’Espagne se croira en droit de réclamer comme prix de la guerre.

Tous les partis, disions-nous, se sont groupés à Madrid autour du gouvernement et se sont confondus dans un même élan d’enthousiasme. C’est du moins l’apparence, c’est le mouvement spontané de la première heure. Nous ne jurerions pas cependant qu’il n’y ait aucune dissonance dans ce merveilleux accord, et que cette unanimité soit aussi réelle et aussi profonde qu’elle le paraît. La vérité est que par plus d’un côté cette expédition du Maroc touche à la situation intérieure de l’Espagne, et il n’est point impossible que le général O’Donnell n’ait puisé dans cette situation même le conseil d’une résolution hardie. En d’autres termes, il aurait agi en vrai et habile soldat qui tente une diversion. L’état politique de l’Espagne est bien simple tout en paraissant fort compliqué. Le général O’Donnell est au pouvoir depuis plus d’un an, et on sait quelle est sa politique ; il gouverne en faisant abstraction de tous les anciens partis, en s’appuyant sur une majorité qui est un composé de toutes les opinions d’autrefois. C’est sa force, et c’est aussi sa faiblesse, car s’il n’a point été victorieusement attaqué jusqu’ici, il n’a eu d’un autre côté qu’un appui précaire qui pourrait lui manquer subitement par une simple dislocation d’une majorité un peu factice. Il était obligé, comme on dit vulgairement, de faire quelque chose, surtout en présence d’une session nouvelle, et l’expédition du Maroc a été un heureux à-propos. Le général O’Donnell était sûr de réussir au premier moment. Le vieux sang espagnol s’est réchauffé pour la guerre contre les Maures. Puis la réflexion est venue : l’enthousiasme belliqueux n’a pas cessé ; mais ceux qui ne sont pas tout à fait les amis du général O’Donnell ont commencé à se demander si la guerre n’était pas un expédient heureux pour affermir par une diversion patriotique une situation qui a ses embarras politiques et financiers. C’est ce qui est arrivé notamment lorsque le ministre des finances, M. Salaverria, a porté aux chambres, il y a peu de jours, des projets qui ne sont pas, il faut le dire, la plus belle partie du programme du gouvernement de Madrid.

Les projets financiers de M. Salaverria sont de deux sortes : les uns ont un caractère de permanence, et ont pour objet d’équilibrer le budget de 1860 par une création de ressources fixes, les autres ont un caractère purement transitoire, et sont destinés à subvenir aux frais de l’expédition du Maroc : ce sont les finances de la guerre. Les moyens imaginés par M. Salaverria pour combler le déficit du budget normal de 1860 sont un impôt sur la transmission de toute propriété mobilière au-dessus de 300 réaux (75 fr.), une modification des tarifs actuels de l’impôt de consommation, une réforme des droits de timbre, une augmentation de la dette flottante, dont le maximum,