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forme actuelle, au-delà de la restauration sassanienne, c’est-à-dire dire du IIIe siècle de l’ère chrétienne. Cela seul ne permet plus d’être aussi affirmatif à l’égard de l’influence que la doctrine de Zoroastre a pu exercer sur les Hébreux durant leur captivité. La théologie de l’Avesta a certainement des coïncidences frappantes avec le judaïsme des derniers temps, et surtout avec le christianisme ; mais ces coïncidences, observe M. Hardwick, peuvent résulter, ou d’une tradition primitive commune aux deux peuples, ou d’un emprunt fait par les Juifs à la religion de la Perse, ou enfin d’une infiltration des idées juives dans la doctrine de Zoroastre. Or, si le Zend-Avesta n’a été rédigé qu’au IIIe siècle de notre ère, nous sommes au moins forcés d’être très prudens dans nos hypothèses, car au IIIe siècle toutes les anciennes religions semblaient avides de perdre leur individualité, et de se confondre les unes avec les autres. Comme l’a dit M. Muller, « c’était un temps d’incubation mystique où l’Inde et l’Égypte, Babylone et la Grèce étaient comme de vieilles femmes accroupies en cercle et commérant à l’envi, avec leur bouche sans dents et leur cervelle affaiblie, sur les rêves et les joies de leur jeunesse, sans pouvoir se rappeler une seule pensée ou un seul sentiment avec la vivacité qui autrefois lui donnait vie ; c’était un moment de délire religieux et métaphysique où toute chose devenait toute chose, où Maya et Sophia, Mithra et le Christ, Virias et Isaïe, Bélus, Zarvan et Saturne, étaient comme pétris et confondus dans un système hétérogène de creuse spéculation. »

Il reste encore d’ailleurs plus d’une question fort embarrassante au point de vue de l’ancienne théologie, et la manière dont M. Hardwick aborde ces difficultés est tout à fait caractéristique. Il admet sans hésiter, par exemple, que sur le sort de l’homme après la mort l’Ancien-Testament était beaucoup moins explicite que la religion de l’Égypte, et même, ajouterait-il, que la croyance des tribus les plus sauvages. Ce qu’il s’applique plutôt à montrer, c’est que les notions naturelles d’immortalité, comme on les rencontre à peu près partout, sont loin de constituer une supériorité morale. Elles se sont alliées, on le sait, au fétichisme le plus grossier comme au culte dégradant des puissances malfaisantes, et la seconde vie qu’elles promettent à l’homme n’a rien de spirituel : ce n’est qu’un prolongement d’existence terrestre. Les esprits des ancêtres sont censés errer autour de leur tombeau ; on croit qu’ils restent en communication avec leur corps, et qu’ils se nourrissent plus ou moins des offrandes apportées par leurs descendans. Même en Égypte, où existait la croyance plus morale en un jugement après la mort, l’âme qui était sortie acquittée de l’épreuve, qui avait ainsi échappé à la nécessité de passer dans des corps d’animaux, n’avait pas devant elle une destinée plus brillante que celle dont les naturels de l’Océanie et de l’Amérique font le partage des morts. Son ciel était le soleil resplendissant, auquel peut-être on attribuait une certaine personnalité, mais qui n’était pas moins identifié avec le foyer de la lumière physique. Que les Juifs aient été exempts de ces erreurs naturelles, c’est là déjà, aux yeux de M. Hardwick, un trait assez remarquable chez eux. La croyance en une vie future n’a de véritable valeur que lorsqu’elle s’appuie sur une haute conception de la Divinité, sur l’idée d’un Dieu infiniment saint, infiniment juste et fidèle à sa parole. Si les Juifs n’ont pas reçu les certitudes consolantes qui ont été