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— Il va de mieux en mieux, me dit-elle, parlant toujours de l’objet de son unique préoccupation, et, s’asseyant entre nous deux, elle causa avec ce charmant naturel et cette généreuse expansion qui ne l’abandonnaient plus quand j’étais auprès d’elle. M. Louandre fut frappé de cette confiance animée qu’il ne lui avait jamais vu manifester si ouvertement, et, prenant tout à coup confiance lui-même dans ma cause, jugeant comme moi que j’étais aimé, il plaida pour mon bonheur.

M. Louandre était un homme positif, d’un esprit ordinaire, mais d’une si grande honnêteté de cœur que rien n’était blessant dans sa bouche. Il parla, cette fois surtout, avec une rare élévation, un remarquable bon sens, et je vis que Love l’écoutait avec une déférence presque respectueuse. Je l’aurais souhaitée plus attendrie par l’amour que convaincue par le raisonnement ; mais elle écoutait sans interrompre, elle donnait des signes d’adhésion, et j’attendais une réponse favorable et décisive.

Elle se recueillit un moment avant de répondre ; enfin elle répondit : — Je suis une enfant, et pourtant mon père a en moi une confiance entière. Il m’a remis le soin de choisir moi-même mon mari. D’abord cette idée-là m’a effrayée. À présent j’en ai pris mon parti, surtout depuis que je connais M. de La Roche et que je me suis assurée que son cœur est bon et que ses idées sont nobles. C’est donc lui que je choisis dès à présent, à l’exclusion de tout autre, puisqu’il aime mon père et que mon père l’aime aussi ; mais je fais une réserve, c’est qu’il m’attendra six mois. Ce n’est pas avant six mois que je peux consentir à me marier.

— Six mois, c’est trop long ! s’écria M. Louandre. Il passe trop d’eau sous le pont pendant six mois : j’entends par là les intrigues, les indiscrétions, les mensonges, les jalousies du dehors. Vous ne savez pas, chère enfant, toutes les mouches avides et venimeuses qui bourdonnent autour des fruits mûrs. Or un mariage arrêté est un fruit mûr qu’il faut cueillir avant qu’il ne tombe. Disons trois mois, et même moins, s’il est possible.

— Eh bien ! reprit-elle, ne disons rien que ceci : mon père a besoin de moi pour finir un ouvrage qui le passionne ; je suis son secrétaire, et personne ne peut me remplacer…

— Parce que vous êtes aussi savante que lui ! Nous savons cela, s’écria M. Louandre un peu à l’étourdie.

— Où prenez-vous cela ? répondit Love en jetant un regard inquiet sur les papiers du bureau et en rougissant beaucoup, avec une physionomie contrariée. Je ne sais qu’écrire sous sa dictée ; mais il a une telle habitude de s’adresser à moi que d’ici à longtemps il ne pourra rien faire avec un autre.