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que le vent balance, deux larges pierres sépulcrales surmontées d’urnes funéraires sont appelées les tombes de Paul et de Virginie. Plus d’un étranger va faire ce pèlerinage ; par malheur, ce qui dépoétise un peu ces souvenirs, c’est que quand le visiteur, l’esprit plein d’émotion et de recueillement, se présente pour rendre hommage à l’une des plus touchantes créations de l’imagination humaine, un gardien, allongeant la main, demande : Sir, six pence if you please !

Un des endroits les plus intéressans où le visiteur puisse s’arrêter à Port-Louis est le cimetière situé sur un terrain bas, en dehors de la ville, près de l’entrée méridionale du port ; il se prolonge jusqu’au bord de la mer par une longue avenue de filao, sorte de cyprès élancé et maigre dont les feuilles produisent, au moindre souffle de vent, un bruit triste et monotone. Là, des hommes de tous les pays, de toutes les conditions, de toutes les couleurs sont venus prendre leur sépulture, et au milieu des monumens de tous genres, en général bien entretenus et surmontés de vases d’où débordent les fleurs, et surtout l’amarante, on peut çà et là, sur quelques pierres à demi usées par le temps, lire une épitaphe et un nom qui rappellent la France.

C’est aussi l’architecture française qui prévaut dans la ville pour les habitations de la classe aisée ; les maisons, protégées par des verandahs ou des ouvrages en treillis, sont de pierre colorée en jaune et forment des rues bien alignées, arrosées par des courans d’eau fraîche et ombragées par des arbres des plus rares essences tropicales. De loin en loin s’ouvrent quelques jardins où la passion des habitans de l’Ile-de-France pour les fleurs se manifeste par d’admirables produits. Non loin du lieu de débarquement se tient le marché, véritable bazar où sont accumulés les produits du monde entier. Il occupe deux larges carrés recouverts et coupés chacun par une grande rue. Dans l’un sont accumulés les fruits, les végétaux, les oiseaux les plus variés et les plus riches de la création, tous les légumes, ceux de France, de l’Inde et du Chili. Les marchands sont généralement des coolies, on les voit accroupis à terre ou perchés sur des tabourets, les jambes croisées. Dans le même marché se vendent encore les ouvrages de cuivre, de vannerie, les meubles, la coutellerie, la mercerie, l’orfèvrerie, la parfumerie. En face, dans l’autre marché, on trouve le pain, le poisson, les crustacés, la viande ; les bouchers sont Indiens, à l’exception des marchands de chair de porc, qui sont Chinois. Ce bazar, surtout le matin, est encombré d’acheteurs. Un autre spectacle, également curieux par sa diversité, est celui que donne la société d’agriculture des arts et sciences de Maurice dans son exposition annuelle, qui se tient ordinairement