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jamais amené la découverte. Il est donc très probable que, comme tant d’autres objets d’art, trop reconnaissables pour être impunément exposés en vente par leurs possesseurs illégitimes, celui-ci avait été tout aussitôt mis au creuset, et qu’il est rentré à l’état de lingot dans la circulation métallique.


II

On a déjà pu entrevoir, ce nous semble, dans quelles conditions défavorables Charles Kean abordait la carrière tragique. L’échec de son début avait été d’autant plus complet que ce début même avait plus vivement sollicité l’attention. Sans ce nom fatal dont il avait à soutenir le poids écrasant, il aurait pu descendre aux rangs modestes où un lent et studieux apprentissage se fait sans trop de périls ; mais il s’appelait Kean, et la médiocrité, même provisoire, semblait lui être interdite. Une seule saison le découragea, et dès le printemps de 1828 il alla chercher en province, en Irlande tout d’abord, et chez ses compatriotes au cœur chaud, aux préventions facilement bienveillantes, les encouragemens qui lui faisaient défaut à Londres. Il trouva là des auditeurs d’une familiarité toute paternelle, qui traitaient « Charley » en véritable enfant gâté, l’interpellaient en scène, lui demandaient çà et là quelque speech qu’ils interrompaient eux-mêmes par d’opportuns bravi si le novice orateur s’empêtrait dans ses périodes incomplètes. C’étaient bien les mêmes spectateurs qui priaient mistress Siddons, la tragédienne sublime, de leur chanter l’air populaire de Garry Owen, et criaient sans façon à John Kemble de « parler plus haut. » Kemble, dont les poumons facilement essoufflés ne se prêtaient nullement à des prodigalités de voix, s’avança majestueusement sur le devant de la scène, et regardant de haut ses hardis interrupteurs : — Gentlemen, leur cria-t-il, je ne saurais parler plus haut ; mais si vous vouliez bien ne point parler du tout, vous ne perdriez pas un mot de ce que je dis. « Elliston, quand il dirigeait le Surrey-Theatre, avait, lui aussi, conjuré à force d’audace le mécontentement de son parterre. On sifflait une mauvaise pièce, représentée pour la première fois. Éveillé parce bruit irritant, le directeur s’élança de son cabinet sur le théâtre : — Mesdames et messieurs, dit-il avec l’exquise politesse dont les rôles de jeune premier lui donnaient l’habitude, vous me paraissez sous le coup de la plus déplorable erreur. Je puis vous certifier, et peut-être accorderez-vous quelque valeur à mon suffrage, que la pièce dont vous semblez mécontens est un ouvrage des plus distingués. Vous en jugerez de même quand vous l’aurez