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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/432

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voie de progrès continu, cesse d’inspirer un très vif intérêt. Pour qu’il en fût autrement, il faudrait que sa prospérité fût moins constante, que son mérite fût plus contesté, que des rivaux heureux vinssent le menacer dans la possession des grands rôles devenus son domaine. Rien de tout cela n’arriva. Sa fortune dramatique, lentement assise, a toute la solidité de ces travaux auxquels le temps n’a point manqué. À force de le louer, la presse anglaise en a pris l’habitude, et son approbation routinière, invétérée, toujours attendue, toujours exacte à l’échéance, établit à la longue un invincible préjugé. Heureux homme, heureux comédien ! Mais en somme tant de félicité n’a rien d’amusant. Et tout au plus, dans le compendieux exposé qu’on nous en donne, notons-nous çà et là quelques particularités piquantes des mœurs dramatiques anglaises, entre autres le vif désir qu’éprouve Charles Kean, lorsqu’il se suppose à l’apogée de sa gloire, d’obtenir de quelque auteur célèbre un rôle écrit pour lui, et dont il aura, du moins pendant quelques années, le monopole exclusif. De là une lettre adressée à sir Edward Lytton Bulwer (13 novembre 1838), où, après s’être étendu sur « l’honneur espéré, la liberté grande, etc., » Charles Kean hasarde en termes d’une rare délicatesse l’insinuation que voici : «… Bien que des considérations pécuniaires ne puissent compter pour rien dans la détermination que vous aurez à prendre, je crois devoir ajouter, pour traiter cette affaire à tous ses points de vue, que je me mets, avec une carte blanche, à votre disposition. J’espère ne pas manquer à la délicatesse en m’exprimant ainsi, etc. » A quoi sir Edward répond incontinent (14 novembre même année) « qu’il se sent obligé, flatté, reconnaissant, mais que pour le présent de lourds engagemens et d’autres circonstances fastidieuses à détailler ne lui permettent pas d’accepter l’honneur, etc. » Toujours patient, toujours persévérant, Charles Kean laisse s’écouler deux années, et en 1840 il reprend sa négociation, cette fois avec un ancien camarade, Sheridan Knowles, acteur médiocre, écrivain dramatique de second ordre, mais doué de qualités précieuses. Aussi le ton de la correspondance change-t-il