conclusions attristées il est possible encore de tirer plus d’une consolation. L’adolescent s’en effraie ; il ne voit qu’en tremblant se dérouler devant lui cette mer trompeuse de la vie, dont toutes les vagues sont perfides, dont les rivages sont inconnus ; il se désespère en songeant qu’il n’y a pas pour lui de port de salut, et qu’il devra vivre sans connaître la vérité, vers laquelle il aspire de toutes les forces de son être. Plus tard, il pourra trouver une consolation dans ce qui faisait d’abord son désespoir. « Qu’importe, se dira-t-il, que ce monde soit un monde d’apparences et de phénomènes, puisque ces apparences sont charmantes et que ces phénomènes sont admirables ? Je suis content de vivre avec des ombres si aimables et de contempler tant d’images gracieuses. Avec quelle aimante pitié ce monde toujours mouvant sait me consoler de cette vérité que je ne puis connaître ! Comme ses apparitions apprennent à oublier ! Comme ses images savent bercer et endormir ! Quoi ! je dédaignerais ce monde parce qu’il est peuplé, me dis-tu, des ombres de ma propre pensée ! Mais bénie soit plutôt la bienfaisante nature qui, docile et flexible, consent à prendre les formes que désire ma pensée, qui m’apparaît mélancolique lorsque je suis sombre, et rayonnante quand je suis gai ! Et quelle infinie variété, quelle inépuisable fécondité ! Il n’y a pas deux printemps qui se ressemblent, et jamais le même sourire n’apparaît deux fois sur le même visage. Plus illimité que l’empire des rêves est ce royaume des apparences extérieures. Vivrais-je des milliers d’années, la nature trouverait pour dissiper mes ennuis et amuser ma curiosité des aspects toujours nouveaux, des formes toujours différentes, des combinaisons toujours charmantes. Et comme si ce n’était assez pour satisfaire mes exigences, les hommes se sont unis à la nature et ont créé un autre monde de beauté et de lumière qui s’appelle le monde de l’art et de la poésie, tout aussi inépuisable et fécond que le premier, aussi réel et moins perfide. Ne dis donc pas, ô philosophe morose, que ce monde est trompeur, puisqu’il offre tant de consolations. Ne dis donc pas que ces apparences sont mensongères, puisque le plaisir qu’elles donnent est assez vif pour dominer les plus poignantes angoisses de mes doutes. Non, ne médis pas de ce monde enchanté, plein de visions et de sortilèges qui ne se dissiperont pas autour de toi comme les fantasmagories puériles d’un charlatan, mais qui, se renouvelant sans cesse, t’entoureront jusqu’au tombeau. Va donc, et sans plus de souci laisse ton esprit flotter avec les nuages et ton cœur nager sur la mer de la vie. Si ce monde est une illusion, cette illusion vaut une réalité, puisqu’elle ne se dissipera point tant que tes yeux seront ouverts. ».
Je ne voudrais pas que le lecteur puisse penser que j’ai voulu lui