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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/497

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contraire abhorré de tout ce que mon cœur avait désiré obtenir. Et tout cela par toi ! si bien que maintenant je n’ai guère souci de perdre cette existence que je protège contre le mal et le crime comme étant le grand don de Dieu ! Pense combien il serait dur pour Arthur, s’il devait vivre, de siéger encore dans sa salle solitaire, de ne pas voir autour de lui le nombre habituel de ses chevaliers, de ne plus entendre, comme autrefois dans les jours heureux, avant ton péché, parler de nobles actions, car quel est celui parmi ceux qui restent d’entre nous qui pourrait parler de cœurs purs sans qu’il lui semblât apercevoir ton image ? »


Ainsi finit la chevalerie de la Table-Ronde. Il ne reste plus au roi Arthur qu’à mourir, et la dernière ressource de Genièvre, c’est la pénitence et la prière. L’idéal d’Arthur s’est flétri comme une fleur délicate exposée aux vents glacés. C’est dans cet étiolement mélancolique de l’idéal rêvé que consiste tout l’intérêt moral et dramatique de Genièvre, et en un sens aussi c’est en cela que consiste le principal intérêt des quatre poèmes qu’il a plu à M. Tennyson de baptiser du nom d’Idylles du Roi. Il est triste de contempler le dépérissement inévitable des plus nobles projets et de voir toutes ces belles aspirations, qui semblaient pareilles aux plus légères vapeurs, tomber à terre comme un brouillard trop lourd pour s’élever. Arthur, le type de la loyauté, est trahi ; Merlin, le type de la sagesse, sera ensorcelé par une fée artificieuse. Elaine, la fille blanche comme un lis, ouvrira ses bras pour embrasser son idéal, représenté sous la forme très visible de Lancelot, et, comme Ixion, elle étreindra un nuage. Si l’idéal n’avait encore à lutter que contre les rébellions de la brutale réalité, la partie serait égale, et le monde pourrait contempler ce que les Anglais appellent a fair play ; mais non, l’âme se tourmente elle-même : à chaque instant, le soupçon, comme un ver secret, piquera votre confiance, et des doutes pareils à des fumées légères terniront votre amour, si bien que la possession même de votre idéal vous paraîtra une chimère, et que réalisé, il sera pour ainsi dire comme s’il n’était pas. C’est l’histoire du chevalier Géraint, qui crut faussement à l’infidélité de la belle Enide, et s’aperçut de son erreur assez à temps pour réparer ses torts. L’aima-t-il dans la suite comme il l’avait aimée dans le passé ? Les chroniqueurs et le poète l’affirment, et pourtant le fait est contestable. Sa confiance par ce doute malheureux avait perdu sa fleur ; il avait acquis par sa propre faute la preuve de la fragilité de son idéal.

Viviane a laissé parmi les hommes une mauvaise réputation que je crois méritée, et que confirme M. Tennyson. Quelques-uns, pour l’excuser, ont prétendu que Viviane n’avait usé que du droit de légitime défense, et que si elle avait retenu Merlin en captivité, c’est qu’elle-même redoutait sa puissance et ses enchantemens. Elle aurait