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dans l’Allemagne méridionale, où, sans parler des intérêts si contraires des petits souverains, les populations sont séparées de la Prusse par les mœurs, par la religion, par les répugnances que leur inspire ce qu’elles appellent la morgue prussienne. Toutefois, dans les circonstances actuelles, un sentiment plus vif encore aliénait à la Prusse l’Allemagne méridionale. Il nous est pénible de le dire, ce sentiment est lui-même engendré par l’esprit d’hostilité que notre guerre d’Italie a réveillé contre la France au sein des populations germaniques. Il faut avoir le courage de se l’avouer : notre dernière guerre ne nous a point fait d’amis. Quelques esprits, aussi frivoles que vains, peuvent se consoler de cet inconvénient en se répétant à eux-mêmes que nous sommes redevenus la grande nation, que nous sommes la première puissance du monde, et que l’idée seule de l’irrésistible impétuosité de nos soldats fait trembler l’Europe. Ce sont là d’étranges politiques, et qui entendent singulièrement les intérêts et l’honneur de leur pays. Pour nous, qui sommes loin de regarder la peur et les sentimens haineux qu’elle inspire comme un moyen d’étendre l’influence d’un grand peuple ; pour nous, qui souhaitons à notre pays l’influence qui s’acquiert par le spectacle d’institutions qui relèvent la dignité humaine, par l’initiative bienfaisante de la pensée, par le prestige des lettres, par l’ensemble et l’impulsion des progrès politiques et sociaux, nous gémissons de voir se rallumer des animosités nationales qui nous ont été autrefois si funestes à nous-mêmes. Voilà ce qui s’est malheureusement passé cette année à notre égard en Allemagne, tous les témoignages en font foi. Nous n’en signalerons ici qu’un indice, c’est le discrédit dans lequel la presse française, à très peu d’exceptions près, est tombée au-delà du Rhin ; dans des contrées où elle était autrefois accueillie avec un empressement si sympathique. Pour revenir à la question qui nous occupe, nous sommes forcés de reconnaître que l’on reproche à la Prusse, dans l’Allemagne méridionale, la politique d’abstention et de lenteur qu’elle a suivie dans la dernière guerre d’Italie : la passion et le préjugé populaires ne lui pardonnent pas de n’avoir point pris parti contre nous, et lui font un crime de la sagesse de cette temporisation qui nous a préservés des terribles calamités d’une guerre européenne. Les auteurs des programmes de Hanovre et d’Elsenach avaient espéré surmonter les dissentimens de l’Allemagne méridionale en convoquant une réunion nouvelle, en se donnant cette fois rendez-vous à Francfort. Là, sur la lisière des deux Allemagnes, on pensait qu’il serait plus facile de s’entendre avec les réformistes du sud sur la rédaction d’un programme nouveau. Cet espoir a été à peu près déçu. L’Allemagne du sud envoya beaucoup moins de représentans à la réunion que l’Allemagne du nord. Les représentans du nord auraient voulu conserver les programmes de Hanovre et d’Eisenach ; ceux du sud repoussaient l’hégémonie prussienne, qui, à les entendre, devait frapper de stérilité leur propagande. Pour prévenir une scission qui aurait fait avorter l’association, l’on fut obligé de s’arrêter à un moyen terme : l’on a adopté un programme qui ne précise ni la portée du mouvement de réforme, ni les moyens pratiques que l’on compte mettre en œuvre. Un comité permanent a été institué, dont les attributions et l’action ont également été laissées dans le vague. Cette transaction, en effaçant les traits les plus prononcés du mouvement réformiste,