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Je la vis redescendre la Roche-Vendeix aussi légère qu’un oiseau. Elle avait ôté son vilain capuchon, elle avait retrouvé l’élégance et les souplesses inouies de sa démarche, et quand elle allait revenir près de nous, ses yeux seraient aussi purs et son sourire aussi franc que si elle n’eût rien appris sur mon compte. Devais-je poursuivre ma folle entreprise ? Ne l’avais-je pas accomplie d’ailleurs ? Ne savais-je pas ce que j’avais voulu savoir, qu’elle était toujours belle, que je l’aimais toujours, que je n’en guérirais jamais, et qu’elle n’avait pas plus changé de cœur que de figure, c’est-à-dire que je pouvais compter avec elle sur une amitié douce et loyale, mais jamais sur une passion comme celle dont j’étais dévoré ?

Je repassais mes amertumes dans mon âme inassouvie, tandis qu’elle approchait du fond du vallon, et que du haut du chemin je suivais tous ses mouvemens. Tout à coup je la vis glisser sur l’herbe fine et mouillée du cône volcanique, se relever et s’arrêter, puis s’asseoir comme incapable de faire un pas de plus. François, qui ne l’avait pas quittée, mais qu’elle avait devancé, était déjà auprès d’elle. Hope et M. Butler, qui la regardaient aussi venir, s’élancèrent pour la rejoindre ; mais j’étais arrivé avant eux par des bonds fantastiques, au risque de me casser les deux jambes.

— Ce n’est rien, ce n’est rien, nous criait-elle en agitant son mouchoir et en s’efforçant de rire. Elle ne s’était pas moins donné une entorse et souffrait horriblement, car, en voulant se forcer à marcher, elle devint pâle comme la mort et faillit s’évanouir. Je la pris dans mes bras sans consulter personne, et je la portai au ruisseau, où son père lui fit mettre le pied dans l’eau froide et courante. Il s’occupa ensuite avec Hope de déchirer les mouchoirs pour faire des ligatures, et quand ce pauvre petit pied enflé fut pansé convenablement, je repris la blessée dans mes bras et je la portai à la voiture. C’était un étroit char-à-bancs du pays qui conduisait quelquefois nos voyageurs une partie de la journée par les petits chemins tracés dans les bois, et qui venait les retrouver ou les attendre à un point convenu quand ils avaient parcouru une certaine distance à vol d’oiseau. Un second char-à-bancs encore plus rustique était loué pour les guides, afin qu’ils pussent suivre la famille et se reposer en même temps qu’elle dans les courses de ce genre que la disposition des rares chemins praticables rendait quelquefois possibles.

Ce jour-là nous fûmes assaillis par un orage effroyable. Longtemps escortés par un grand vautour roux dont les cris lamentables semblaient appeler la tempête, nous reçûmes toutes les cataractes du ciel sans être mouillés, vu que les bons Butler, dont la voiture était couverte, nous forcèrent de prendre leurs surtouts imperméables. François, qui fut appelé à cet effet, m’apporta le manteau de