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sidérant Love comme une exception, il souffrait de l’idée qu’elle pût descendre aux soins de la famille comme une femme ordinaire. Pourtant, quand je lui fis observer que cette grande intelligence ne dédaignait pas de le servir et de le soigner, ce qui était sans doute fort heureux pour lui, il ne sut que répondre et se mordit les lèvres.

Heureusement pour cette jeune âme, incomplètement épanouie dans la trop douce atmosphère de la gâterie, il y avait en elle, ainsi que je l’avais déjà remarqué la veille, un très noble développement de l’idée du devoir. L’enfant, à défaut des gracieuses sensibilités de l’adolescence, avait des principes au-dessus de son âge, et quand il avait réfléchi, pour peu que l’on essayât d’éclairer son jugement, il revenait à sa logique tout anglaise, qui était de respecter la liberté des autres pour faire respecter la sienne propre.

Tout en l’amenant à faire devant moi, espèce de borne intelligente dont il ne se défiait plus, son examen de conscience, je comparais intérieurement son adolescence avec la mienne. Émancipé, comme lui, de toute contrainte par une mère absorbée dans ses larmes secrètes autant que M. Butler l’était dans ses chères études, il m’avait manqué, comme à lui, de sentir l’autorité identifiée avec la tendresse ; mais, comme la tendresse de ma mère n’était pas démonstrative, je n’avais pas senti comme lui à toute heure combien j’étais aimé, et j’avais éprouvé le besoin impérieux de l’être ardemment par un cœur plus vivant et plus jeune. Cela m’avait peut-être rendu aussi injuste et aussi exigeant envers Love que l’avait été Hope par suite de besoins contraires. Il avait toujours eu sa tendresse ; il n’avait pas voulu la partager, parce qu’il n’en concevait aucune autre. Tous deux, nous la voulions tout entière, et la pauvre Love, ne sachant à qui se donner, ne s’était donnée à personne ; victime de deux égoïsmes, elle était peut-être devenue égoïste à son tour, en demandant au repos de l’âme et à la sécurité de l’indépendance un bonheur que nous n’avions pas su lui créer.

En résumé, je jugeai Hope parfaitement sain d’esprit et de corps, comme il l’était en effet, et je vis que les seules dispositions inquiétantes à mon égard étaient désormais celles de Love.

Il y avait des momens où je m’imaginais qu’elle m’avait parfaitement reconnu dès le premier jour, et que le baiser de la veille n’était pas l’excentricité d’un cœur charitable ou l’aberration d’une idéale chasteté. Un indifférent eût peut-être préféré ces dernières interprétations pour la gloire de son étrange et angélique caractère ; mais moi, amoureux fou, j’eusse préféré l’emportement spontané de l’amour.

Je redevenais humble et accablé en regardant mes mains brunies, déjà dures et gercées par l’absence de soins, mon affreux déguise-