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que, d’après la coutume de leur pays, la mission temporaire dont ils étaient chargés ne comportait point la possession du sceau impérial. Lord Elgin admit enfin les pouvoirs ainsi expliqués ; mais il insista pour le sceau, et le sceau fut envoyé de Pékin. Il faut dire, pour la justification des mandarins, qu’ils ne possèdent dans leur langue aucun terme qui rende exactement le sens attaché à la qualité, de plénipotentiaire, et les interprètes reconnaissent que l’on dut imaginer une combinaison de mots, c’est-à-dire forger une expression, pour donner satisfaction aux exigences de la diplomatie anglaise. La délégation de pleins pouvoirs entre les mains d’un sujet ne s’accorde pas avec le caractère divin de la souveraineté dans le Céleste-Empire. — En outre, disaient les mandarins, à quoi bon ces pleins pouvoirs, alors qu’il nous est facile, en quelques heures, de solliciter et de recevoir les instructions précises de l’empereur ? Pour vous, Européens, la situation est bien différente : vous êtes ici à dix mille lieues de vos souverains. — Les Chinois avaient donc besoin de faire violence à leurs principes de gouvernement, à leur langue, et presque au bon sens, pour se plier aux règles de notre diplomatie.

Sur ces entrefaites arriva à Tien-tsin le vieux Ky-ing. Il demanda une entrevue à lord Elgin par une lettre dans laquelle, sans autre titre que celui de vice-président honoraire d’un tribunal, il se disait chargé par l’empereur de s’occuper des affaires concernant les étrangers. Kouei-liang et son collègue avaient paru si tristement embourbés dès leurs premiers pas, que la cour de Pékin avait, en désespoir de cause, songé au malheureux Ky-ing, qui autrefois s’en était si bien tiré avec les barbares, et elle l’envoyait, fraîchement décoré d’un titre quelconque, au secours des commissaires impériaux. Lord Elgin pria ses deux interprètes, MM. Wade et Lay, de rendre visite au nouveau-venu, et de lui faire entendre poliment qu’on ne pouvait s’entretenir de négociations qu’avec les fonctionnaires expressément accrédités. Cette visite, racontée par les interprètes, fut comique et touchante. Ky-ing était logé dans une pauvre maison du faubourg de Tien-tsin. Il se précipita au-devant de ses visiteurs, les accabla de politesses, et voulut à toute force reconnaître M. Lay, qu’il voyait pour la première fois. — Nous sommes d’anciens amis, s’écriait-il ; nous nous sommes rencontrés à Nankin en 1842. — M. Lay lui répondit que c’était son père, et non pas lui, qui se trouvait à Nankin. — C’est incroyable comme vous lui ressemblez ! — Et, prenant à témoin un de ses domestiques : Voyez, n’est-ce pas tout le portrait de son père ? Eh bien ! je suis l’ami des deux générations ! — Et après cette première effusion il entraîna les interprètes dans l’intérieur de l’appartement. Quand ils furent seuls, il se mit