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Chinois et contre la violation des traités. Les mandarins y sont assez tolérans pour laisser circuler les Européens bien au-delà des étroites limites tracées par les conventions, témoins M. Milne, M. Fortune, et bien d’autres. On n’a même plus besoin de se déguiser en Chinois. Les relations très curieuses de ces voyageurs attestent que la population n’est pas mal disposée envers nous, et donnent à espérer que peu à peu, par la force de l’habitude et du voisinage, elle nous accueillera sans que les mandarins se gardent bien d’y rien voir, et surtout d’en rien dire. Il y a eu quelques avanies, des rixes, des meurtres même ; ce sont des malheurs à peu près inévitables, que n’empêchera aucun traité, et il faudrait savoir si, dans certains cas, la conduite indiscrète et brutale des Européens, notamment des Anglais, qui ont appris dans l’Inde la façon non pas de se concilier, mais de malmener et de battre les Asiatiques, n’aurait point provoqué ces déplorables incidens. Que faut-il donc pour améliorer notre situation en Chine ? Exiger l’ouverture de nouveaux ports sur la côte et sur le cours du Yang-tse-kiang, et déterminer avec précision les conditions de tarif. Avec cette extension des rapports directs, nous doublerons encore en dix ans nos transactions actuelles. S’il survient dans l’un des ports une difficulté, immédiatement quelques navires de guerre apparaîtront, et tout s’arrangera vite. Les steamers peuvent remonter le Yang-tse-kiang jusqu’à plus de 600 milles de l’embouchure ; une croisière établie sur le fleuve tiendra tout en respect. Certes, il eût été très désirable d’avoir une ambassade à Pékin ; mais décidément les Chinois n’en veulent pas. L’empereur se figure, à tort ou à raison, qu’en accédant à une pareille demande il perdrait son prestige, et mettrait son pays en révolution. On pouvait croire d’abord que ce n’étaient là que de mauvais prétextes ; aujourd’hui la lecture des archives confidentielles de Canton ne laisse plus de doute sur les convictions du gouvernement impérial à cet égard. On parviendrait cependant à arracher cette concession : à de certains momens, les diplomates chinois se voilent la face et signent tout. Mais après ? Si nos ambassadeurs étaient mal traités à Pékin, ou s’il éclatait une rupture entre nous et le gouvernement central (éventualités qui, dans l’état des esprits, seraient très probables), il nous faudrait faire la guerre, une guerre lointaine, coûteuse, exigeant beaucoup d’argent et beaucoup d’hommes. Il vaut mieux, à ce qu’il semble, ne pas nous exposer à de tels embarras, et suivre simplement la voie modeste, mais plus sûre, qu’ont tracée en 1842 sir Henry Pottinger, en 1844 MM. de Lagrené et Cushing, qui, eux aussi, auraient bien voulu résoudre le problème de l’entrée à Pékin. Il suffit de convaincre les Chinois que, si nous éprouvons sur un point quelconque du littoral ou sur les rives du Yang-tse-kiang,